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mercredi 4 janvier 2012

"LES ENFANTINES" en BLOG (4)

LA CARRIOLE (5)

FABRE et les autres m'arrachèrent des mains le peu de ficelle qui me restait dans les doigts. Etait-ce pour m'humilier un peu plus ? pour ficeler mon frère au tas de planches enchevêtrées ?


Pas du tout. Le sens pratique de cette équipe entraînée prenait le pas sur son aptitude à la moquerie. On ramassait les débris, on récupérait les clous, on courait après les roues. Mon frère fut prestement extrait du fracas de bois par ma mère alertée au bruit du tonnerre. Elle avait quitté son banc de légumes où elle avait laissé ma tante Augusta et l'ensemble des clientes en choeur des vierges, bras levés, ce qui avantage toujours un peu les poitrines.

La fabrication d'une autre carriole pouvait commencer ; sur l'un des bancs vert qui servirait d'établi comme d'autres de ses semblables servaient déjà de relais de diligence, d'îlot perdu dans l'océan en furie, de gradins, d'arènes, etc. Jacques irait chercher la scie de son père, Loule se débrouillerait pour subtiliser un marteau à sa tante, la grosse Mme FERRIER, épicière en renom. FABRE m'ordonnerait d'aller chercher quelques clous, les moins rouillés possible, de ceux qui sortent en grimaçant du monticule de casiers à poissons qui empestent notre cour intérieure. Les tenailles, on les aurait par BORRELY dont le père est plombier.

On va t'en faire une de carriole, tu vas voir ! Avec ces roues en fonte, finalement c'est pas plus mal si on réfléchit bien. Tu te rends compte le bruit que ça va faire ! Bien montées, et pas timidement accrochées comme ton père l'avait fait, on va réveiller les morts qui attendent d'être transportés à St-Pierre ! Tu nous entends venir de devant le bar Pierre en tirant tout ce qu'on peut sur la corde ?

Le cantonnier, ce jour-là, n'arrosa pas le trottoir autour de nous lorsqu'il passa avec son grand balai à touffe : nous avions l'air si préoccupés et si graves qu'il nous contourna. Il avait senti qu'il devait se dispenser de nous asperger copieusement comme il le faisait d'ordinaire sous le prétexte de rafraîchir le quartier alors qu'il se vengeait sournoisement de nombreux barrages construits par notre bande le long du caniveau.

A midi passé, lorsque le tramway dégorgea son trop plein de dactylos, de petits ronds de cuir et de fonctionnaires pressés, mon père reçut en plein visage cette image étourdissante de ces deux fils cramponnés comme ils pouvaient à la rambarde d'une carriole flambante, tirée, poussée, entourée, escortée d'une nuée de garnements hurlants. Il serra un peu plus fort sa main autour du cylindre du journal du jour, releva la tête et passa comme sans nous voir : il avait reconnu les roues de fonte et le bois peint en jaune de la défunte chaise haute, le tout recomposé dans une restructuration géniale et efficace à n'en point douter puisque l'attelage filait bon train maintenant vers la rue du Progrès.

Mon père venait de mesurer définitivement ce qui n'était jusqu'alors qu'une légende : il n'était pas doué pour le bricolage.

A dater de ce jour, il renonça à tout marteau, à la moindre pointe. Il ne fallut plus lui parler d'un quelconque tournevis. Et quand il passait près de la carriole trônant dans la cour parmi d'autres chefs-d'oeuvre, il s'assurait toujours que le temps allait rester au beau ou que le mistral tomberait bientôt. En levant les yeux au ciel, bien sûr.

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Demain commencera une nouvelle aventure, une aventure intitulée COCO VOLE.

1 commentaire:

  1. Bonsoir Georges ! Tout d'abord , je te souhaite une superbe année 2012 !! Une année sans blues !! Une jolie tranche de vie ou la fabrication de la carriole par ton père prend un sens romanesque et passionnant à lire !!

    J'aime beaucoup !! je vais lire la suite !!

    Cadeau , le clip du second extrait de mon CD que tu possèdes déjà :

    http://www.youtube.com/watch?v=Anrt0q57l1s&list=UUARR3MLlwiepSBwGryCoWlg&index=1&feature=plcp

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