compteur

mercredi 8 mai 2013

MARSEILLE CAPITALE EUROPEENNE DE LA CULTURE

Le 5 mai 2013, à 21h, j’étais sur le Vieux-Port à Marseille au sein d’une foule dense et compacte venue là, appâtée par des affiches annonçant une manifestation originale pour ce soir-là. Le Vieux-Port allait être embrasé et illuminé d’une manière inattendue. Des feux grégeois (chiffons imbibés de bitume liquide) seraient allumés un peu partout posés sur le sol, les trottoirs, les esplanades, le bord des embarcadères, accrochés à des structures métalliques mobiles ou non.


Cette ville est friande de spectacles gratuits dans lesquels la population a son rôle à jouer. Qu’aurait-il été des jeux du cirque sans la populace ?

Ce soir-là, la population de Marseille semblait avoir changé. On été entouré par des gens qui nous ressemblaient. Le métissage habituel que l’on découvre sur la Canebière, au Centre Bourse, autour du Vieux-Port, avait disparu. Ce qui m’a fait penser que les Marseillais avaient ce soir-là repris possession de leur ville. Ils étaient venus des quartiers périphériques pour participer à cette incandescence qui n’avait d’autre objet que d’attendre d’être consumée. D’ailleurs, au fur et à mesure que les brasiers s’estompaient, baissaient d’intensité, familles, enfants, vieillards, jeunes de tous âges commencèrent à se diriger en nombre vers les bouches du métro : deux heures trente pour se griser de feux antiques et s’imaginer rencontrer au détour d’un agglomérat d’êtres humains groupés autour d’une structure incandescente tournante, Gyptis et Protis enlacés, fondant une ville par la rencontre de leurs deux peuples.

Je m’en suis voulu d’avoir succombé un instant à une sorte d’instinct grégaire qui m’avait conduit là où tous mes congénères se retrouvaient parce qu’ayant répondu inconsciemment à un rituel communautaire. Notamment lorsque je me suis trouvé sous le Fort St Jean, poussé par une foule piétinante qui avançait à petits pas vers un goulet d’étranglement qui permettait d’accéder à une passerelle constituée de barges assemblées qui permettait de passer sur l’eau, les pieds secs, entre les deux forts qui dominent l’entrée du Vieux-Port. Du Fort St Nicolas au Fort St Jean donc, entre lesquels trônait autrefois le pont transbordeur de Ferdinand Arnodin que les Allemands, en 1944, détruisirent pour récupérer le fer qui le constituait.

Je me suis mis à partir de ce moment là à réfléchir tout autrement. Pourquoi tous les participants à cette nuit illuminée, qu’ils soient sur l’une ou l’autre berge du port tenaient-ils tant à passer de l’autre côté ? Pourquoi s’entassaient-ils, se pressaient-ils à s’écraser les uns les autres afin de parvenir à emprunter la passerelle qui les faisait passer d’un bord à l’autre ? Pour connaître une victoire de plus que celle qui les voyaient reprendre possession de leur ville. Ils triomphaient de l’ignominie nazie qui les avait frustrés à jamais de l’un des monuments de leur ville dont ils étaient le plus fier après Notre-Dame de la Garde, la Canebière et le Vieux-Port.

Finalement, ce spectacle sans scénario, sans acteurs professionnels, sans argument ni raison aucune, était une cérémonie, une messe gigantesque. Etre là à se couler parmi ses semblables, ces hommes et ces femmes attachés à des valeurs communes et ancestrales, offrait à chacun de tenir un rôle civique.

Le 4 et le 5 mai (puisqu’une première « représentation » avait eu lieu la veille à l’identique), Marseille éclairée du feu antique a rappelé qu’elle était bien vivante. L’agora avait pris une dimension immense par rapport à ce qu’elle avait été au pied du quartier du Panier, Place de Lenche, au temps de Pythéas.
Le peuple a rempli un vide que politiciens, magouilleurs et gangsters se sont ingéniés à creuser au long des siècles. Et cela dans un calme, une discipline et un bonheur qui donne une leçon de civisme tout comme un avertissement aux spéculateurs de tous genres.

Georges Lautier, né à Marseille 43 rue Edmond Rostand (sur la table de la cuisine) un 07/04/1934