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jeudi 26 janvier 2012

QUEL TEMPS FAIT-IL CHEZ VOUS?

Depuis début janvier - nous sommes le 26 aujourd'hui - à Digne et dans toute la Haute-Provence, il n'est tombé ni neige ni pluie. Du beau temps, certes, mais vous voyez d'ici la tête des moniteurs et des enfants partis en classe de neige dans nos petites stations des Alpes du Sud!

Aujourd'hui, misère! Un ciel poisseux, gris. Mais toujours pas une goutte d'eau, toujours pas un seul flocon!

Pensez-vous qu'il y ait une justice immanente et que le ciel nous punisse de trop nous vanter d'avoir le plus grand nombre de jours d'ensoleillement de France?

C'est possible car, on a vraiment tout vu de nos jours. Et si c'était fini!

mercredi 25 janvier 2012

UNE PAUSE S'IMPOSE

Après 20 pages extraites du recueil intitulé "LES ENFANTINES", j'ai ressenti le besoin d'interrompre  cette publication commencée le 03 janvier 2012. S'il vous paraït intéressant de connaître la suite de ces textes, vous voudrez bien me le faire savoir.
Mais ce n'est pas tellement l'absence de commentaire qui me fait prendre cette décision. C'est qu'en fait des évènements plus importants que de vagues souvenirs d'enfance assaillent notre société. J'ai quelques scrupules à tranquillement dérouler mon passé alors que le feu est à la maison.


Je veux parler évidemment des problèmes que le système financier en délire fait naître dans notre civilisation.

Tout cela est assez bien présenté dans le n° de février 2012 de PHILOSOHIE MAGAZINE. Et je n'ai qu'un conseil, c'est de vous inciter à le lire. Vous aurez les clés pour comprendre -mais vous les détenez certainement déjà- comment la cupidité d'une poignée d'hommes ruine l'existence des peuples.

Le plus terrible est dans le fait que, comme toujours apprenti sorcier, l'homme (en l'occurrence les finauds de la finance) a lancé une mécanique qui s'emballe.

Vous aurez peur en lisant les textes du dossier que présente PHILOSOPHIE MAGAZINE. Mais nous pouvons nous ressaisir. Le gouffre vers lequel nous aspirent les financiers peut se refermer sur eux. Nous devons réagir pour sauver nos descendants.

Je vous souhaite du courage.

Georges

lundi 23 janvier 2012

"LES ENFANTINES" en BLOG (18)

L'HUILE d'OLIVE (5)

Tout se déroulait donc suivant le plan fixé par avance.


A midi trente, un petit homme se glissa entre les vantaux que ma mère laissait toujours entrebâillés pendant qu'elle donnait un dernier coup de balai et dans l'attente d'un ultime client éventuel. L'homme portait deux bonbonnes qu'il déposa sur le carrelage, au beau milieu du magasin. Sans dire un mot, il revint à la porte où un bras lui glissa la troisième bonbonne du marché. Il énonça simplement le montant de ce qu'on lui devait, empocha et sortit.

Avait-il l'accent corse ? Ma mère et ma tante -dont l'oreille était pourtant exercée dans ce domaine- ne purent jamais se mettre d'accord. Tout comme elles ne purent jamais s'entendre sur le propriétaire du bras qui avait passé la troisième bonbonne : ma tante avait reconnu le chronomètre du père de Loule, ma mère qui refusait cette possibilité arguait que tous les maquereaux avaient le même bracelet-montre.

L'important n'était pas là. L'important se trouvait dans les bonbonnes. Et alors que le livreur empochait prestement son dû, ma tante avait vérifié leur contenu en trempant son index dans le col de chacune des trois dames-jeannes.

Elle en avait ressorti un doigt en forme d'obscénité mais purifié par une authentique huile d'olive.

Or, il eût fallu un doigt aussi long qu'une trompe d'éléphant...ou un bec de cigogne (à cause de l'étroitesse du goulot) pour vérifier si le contenu total de chaque bonbonne était réellement de l'huile.

En effet, utilisant leurs connaissance scientifiques, les bandits avaient rempli d'eau les récipients et laissé flotter sur ce liquide banal un bon doigt seulement d'huile d'olive.

C'est en voulant tirer l'huile d'olive des dames-jeannes pour emplir un bataillon de bouteilles alignées que ma mère et ma tante constatèrent la supercherie.

A partir de ce jour, le père de Loule ne porta plus jamais de montre à son poignet.

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                       ( fin)

dimanche 22 janvier 2012

"LES ENFANTINES" en BLOG (17)

L'HUILE D'OLIVE (4)

Que voulez-vous que fit ma mère ? que fit ma tante, vierge pourtant insensible, elle, au charme très masculin de ce genre de voyous superbes ? Elles acquiescèrent, toutes petites, toutes muettes, avec leurs tabliers noués et leurs petits visages simples de marchandes de quatre saisons aux pieds de ce bourreau des coeurs, de cet ange de l'asphalte, de ce bellâtre en casquette blanche. Que ce type-là se soit arrêté pour leur parler valait déjà toutes les cargaisons d'huile d'olive de la marine grecque !


Subjuguées pour avoir approché de si près un spécimen de la faune interdite, elles commandèrent deux bonbonnes de plus que prévu.

Et le jour vint de la réception de l'huile. jour solennel, jour mémorable. Une liste de clientes fidèles et sûres avait été dressée à l'avance et simplement sur la promesse. Les têtes défilaient pour s'assurer que c'était bien le jour dit et qu'il n'y aurait aucun retard dans la livraison. Ma mère et ma tante avaient leurs regards entendus habituels pour satisfaire aux interrogations muettes et discrètes. Elles pouvaient donner toutes les assurances : le père de Loule était passé de bon matin devant le magasin, et d'un de ces gestes las dont il avait le secret, il avait soulevé sa casquette sur son front. C'était le signal.

          ... ( à suivre) ...

samedi 21 janvier 2012

"LES ENFANTINES" en BLOG (16)

L'HUILE D'OLIVE  (3)
Voilà pourquoi ma mère, le jour où on lui parla d'une affaire d'huile d'olive a priori fort intéressante, commença par douter. N'avait-elle pas plusieurs raisons de se montrer suspicieuse ? Pour commencer, le prix était anormalement bas. Il est vrai que la condition première du marché était liée à l'achat d'une quantité minimum qui était de cinq litres. On pouvait donc sans s'étonner voir un vendeur baisser le prix de l'unité en même temps qu'augmentait la quantité : c'est une loi fondamentale du commerce à laquelle seuls dérogent aujourd'hui les magnats du pétrole qui augmentent leurs prix au fur et à mesure que s'accroissent les commandes. Mais cela, en 1943, ma mère l'ignorait.


Un autre facteur de trouble, tout aussi ambigu que le premier d'ailleurs résidait dans le fait que cette histoire d'huile d'olive avait été présentée à ma mère par le fameux père de Loule dont on sait qu'il avait échappé à la feuille à nigauds. La notoriété de cet homme, respectable à plus d'un titre, ôtait cependant de l'idée qu'il eût pu se livrer à quelque marché noir que ce soit : il avait bien d'autres chats à fouetter, et c'étaient souvent des dames qui ne s'appelaient pas nécessairement Jeanne. D'autre part, nous étions très liés et il était hors de propos que le père de Loule puisse nous jouer un tour quelconque : il existe dans tous les milieux des codes d'honneur particuliers. Celui du père de Loule lui interdisait d'exercer son art dans les lieux mêmes où cet art lui apportait considération et respect. Et cela, même en 1943, ma mère le savait.



Si l'on pouvait donc exclure d'une part l'idée qu'un piège puisse être tramé par le père de Loule, d'autre part le fait qu'un prix alléchant constitue nécessairement la marque d'un escroquerie, il restait encore quelques inquiétudes à ma mère à cause de ce qui a été dit plus haut au sujet des dames-jeannes....Ou plutôt des bonbonnes. Qui saurait si, dans les trois ou quatre bonbonnes que ma mère escomptait acquérir (afin d'en revendre le contenu litre par litre, bien sûr), il se trouverait vraiment de l'huile ?



- Ah! mais vous pourrez vérifier ! s'était exclamé le père de Loule accompagnant ses propos d'un geste large, saint et ouvert qui faisait voir les blanches paumes de ses mains :

- Et puis vous savez, je n'y suis pour rien, moi. C'est pas moi qui vous la vends l'huile. c'est un collègue, un type qui a une grosse affaire. Et il veut s'en débarrasser assez vite. Vous comprenez pourquoi....

A cet instant, en ponctuation, il y eut le traditionnel guinchement d'oeil qui déclenche toujours l'adhésion et la confiance.

                 ... (suite) ...

vendredi 20 janvier 2012

"LES ENFANTINES" en BLOG (15)

L'HUILE d'OLIVE (2)


Ce détour pour dire que les bons du papa auraient fini par rendre superfétatoires les va-et-vient du fils entre les divers commerces du voisinage si la guerre avait duré quelques mois encore ou si ce responsable du service du ravitaillement qu'était mon père n'était pas mort brusquement.


Quoiqu'il en soit, dans cette lutte autour de miettes et de bribes que se livraient les uns et les autres, dans cette course à la survie qui creusait toutes les joues, il restait un luxe dont les Marseillais, même en cette période de pénurie exemplaire, ne pouvaient se passer. Ce luxe, c'était l'huile d'olive. Dans n'importe quelle autre région de France, il eût suffi que des patates, du pain, du beurre ou du lait viennent coincer l'un ou l'autre des plis creux que l'on portait sur l'estomac à cette époque. Ici, il nous fallait notre huile d'olive, celle sans laquelle on ne sait plus faire une salade, frire un rouget, monter le moindre aïoli ou préparer la plus simple des brandades. Pour des gens qui donnent à leurs enfants en guise de goûter un morceau frotté d'ail imbibé d'huile d'olive, on comprendra aisément que cet ingrédient puisse être considéré comme une denrée vitale, à l'image de ce qu'est le calvados pour les Normands, aliment de base que l'on va jusqu'à glisser dans le biberon des bébés, paraît-il.

Aussi s'était-il instauré tout un marché parallèle de l'huile d'olive. Des campagnes descendaient bouteilles et bonbonnes gonflées de la précieuse liqueur jaune. Le traditionnel papier journal enveloppait précautionneusement chaque bouteille que l'on se passait solennellement, une main serrée autour du goulot, l'autre en plateau sous le culot pour éviter les glissements inducteurs de catastrophes. De tous temps, une bouteille d'huile d'olive cassée a signifié un an de malheur pour le maladroit qui la laisser échapper : ajoutez-y la valeur vénale du produit en temps de restrictions et vous aurez une notion approximative de l'étendue du désastre.



Pour les bonbonnes, le risque était moins grand, le risque de casse s'entend. Empaillées de joncs tressés, corsetées comme elles l'étaient dans des mailles empressées, elles pouvaient résister aux assauts les plus virils des mains les plus frustes. Au fond, n'était-ce pas à cause de cet excellent système de défense de leurs rotondités qu'on les appelle aussi chez nous des dames-jeannes ? Il existe malgré tout une différence entre les splendeurs opulentes même cachées des jeannes d'antan et la richesse en huile d'olive contenue dans une bonbonne : les premières, tout en étant bien défendues, se devinent encore et se reconnaissent comme telles ; la seconde exige au contraire un acte de foi car, à travers les mailles de la nasse de jonc, on ne peut distinguer un moine d'un curé.


            ... (à suivre) ...

"LES ENFANTINES " en BLOG (14)

L'HUILE D'OLIVE (1)

Comme on a pu en juger dans l'épisode précédent, le temps n'était pas aux ripailles. En cette période d'occupation, si le poisson était rare, le beurre, les pâtes, la confiture et le pain ne l'étaient pas moins.


Nous avions la bonne fortune d'être une famille de commerçants du ventre, et nous ne manquions finalement de rien grâce à l'antique jeu des échanges et du troc. Combien de voyages ai-je fait, enfant innocent, entre l'épicerie des FERRIER, la boulangerie ou la charcuterie les plus proches et le magasin de mes parents ? C'étaient deux tranches de merlan contre un paquet de biscottes, une dorade pour quelques tranches de jambon, une douzaine de sardines pour un kilo de pâtes. Le barème des échanges était-il codifié à l'avance ou était-il laissé à l'appréciation du confrère ? (ce qui aurait pu donner l'impression que les commerçants entre eux ne faisaient que s'entraider). Je ne saurai jamais si la morale était sauve dans ces procédés : je n'étais qu'un agent anonyme et aveugle qui ignorait tout du code.

Je dus malgré tout en tirer quelque profit, alimentaire sinon éducatif. Quelques années plus tard, dans les compétitions sportives qu'il nous fallait livrer au collège, je parvins souvent à triompher des enfants de ceux qui n'avaient eu que leur carte d'alimentation pour survivre. Du moins, c'est là que je place les raisons de cette supériorité physique provisoire dont je fis preuve à 14/15 ans dans tout ce qui touchait à l'athlétisme. Il faut savoir être honnête quelquefois.

Et honnête mon père l'était ; vis à vis de ses principes, bien sûr. Fils de boucher, boucher lui-même pendant un temps mais défroqué depuis à cause de certaines tendances intellectualistes, il travaillait dans les bureaux de la Marine Nationale, ce bel hôtel sis sur la Canebière et gardé de matelots souriant aux filles retroussées de mistral..
Peut-être aurait-il aimé tout autant assurer ce rôle de cerbère aguicheur. Pourtant, comble de l'ironie, on l'avait versé au service du ravitaillement. Et son atavisme de boucher-¬charcutier maître en bouffe et en ripailles aidant, il avait grimpé, grimpé les échelons au point d'être responsable du service, c'est-à-dire dispensateur des bons de beurre, des bons de sucre, des bons de fromage. Il n'avait donc fait qu'un crochet par la plume et était vite retourné à la volaille. Mais l'essentiel n'était-il pas que le placard ne désemplisse pas ? Cette époque tragique de la Résistance a eu du bon en fin de compte : elle nous a démontré que ce qui fonde toute activité chez l'homme trouve son ressort dans le réflexe de conservation : conservation par résistance à la mort violente, conservation par la lutte contre la faim.
                                   
                        ... ( à suivre ) ........

mardi 17 janvier 2012

"LES ENFANTINES" en BLOG (12)

LA DISTRIBUTION (3)

On recommença à pousser, à taper sur les battants encore fermés, à hurler à la mort. Les grands volets de bois qui habituellement se repliaient en accordéon de part et d'autre de la devanture commençaient à flotter sur leurs charnières. Que l'on se rassure : ce n'était pas mon père qui les avait installés ; un minable menuisier peut-être qui poussait sans doute avec les autres : connaissant bien ses fermetures, il espérait quelque pillage.


Je m'étais levé, ciseaux brandis : je craignais pour ma mère, petite femme en plume, face à cette foule enhardie par la faim. On tentait en effet de replier les volets sur eux-mêmes voyant qu'ils ne pouvaient être arrachés. Et ma mère s'accrochait de chaque main aux montants qui s'écartaient toujours plus. Je connaissais sa ténacité : ils étaient capables de me l'écarteler. Il fallait rapidement trouver ce qui pouvait stopper net la folie de la foule.

Je criai, criai, comme s'il s'agissait pour moi de réinventer le fameux cri qui tue des combattants japonais. Apparemment, j'avais échoué puisque les bras de ma mère s'étaient encore allongés ! Mais ce cri n'avait tout de même pas été inutile. Au milieu du fracas des coups redoublés qu'elle donnait, par-dessus le tohu-bohu des gens déchaînés, ma grand-mère avait perçu l'appel de l'un des siens. Telle la louve avertie par télépathie que son Croc-Blanc va mourir si elle n'intervient pas !

Elle leva la tête, renifla un bon coup comme pour aspirer en une fois la sueur qui inondait son visage. D'un geste de l'avant-bras (elle gardait masse et couteau entre les mains), elle remonta une mèche de cheveux sur sa nuque. D'un seul coup d'oeil elle avait compris la scène. Il fallait qu'elle avance.

Elle avança. Les bras écartés, le couteau pointé, la masse levée. Elle arriva jusqu'au trottoir où la populace se pressait. Elle était allée jusqu'à cette limite sans un mot puis, d'un geste ample, elle écarta de ses deux coudes les battants que quelques serviles apeurés rabattaient déjà. Alors elle se mit à tonitruer, à vociférer, à jurer avec une voix d'une sonorité capitale. Les veines de son cou étaient à craquer de puissance et de force.

Y aurait-il d'autres thons à débiter maintenant ? ou bien des porcs à châtrer ? Qu'ils y viennent ceux qui voulaient en goûter de la belle poissonnière !

L'effet fut immédiat : la foule domptée redevenait troupeau. Nous pûmes travailler à battants grands ouverts. J'avais bien quelques inquiétudes encore de temps à autre devant cette multitude tout à l'heure féroce. Et j'avais beaucoup de mal à ne pas zigzaguer de trop avec mes ciseaux tremblotants.

Pour me rassurer, je ne regardais pas le bon gardien débonnaire qui était accouru tout essoufflé de son poste de paix quand on y avait appris que le calme était revenu 83 Bd Chave. Je jetais, sans trop me montrer tout de même, un oeil convaincu sur ma grand-mère, droite et poitrinante, qui surveillait, d'un couteau et d'une masse, la distribution des thons qu'elle avait découpés.



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dimanche 15 janvier 2012

"LES ENFANTINES" en BLOG (11)

LA DISTRIBUTION (2)

La distribution que devait effectuer ma mère cette fois-là concernait une trentaine de thons magnifiques, pris au piège certainement depuis peu dans les mailles de CARRO, l'une des trois pointes fatidiques en Méditerranée sur lesquelles ces animaux bornés viennent régulièrement se faire décimer. Ils étaient tous d'une taille fort respectable, ce qui avait enchanté ma grand-mère, forte femme au chignon toujours prêt à se dénouer. Enfin des thons à sa main ! s'était-elle écriée fièrement avec cette pointe d'orgueil qu'arborent si aisément les gens de sang corse. Elle n'avait plus vu d'aussi belles bêtes depuis 36, et déjà les bras lui démangeaient d'attaquer la besogne.


Il fallait commencer par faire sauter la tête de l'animal en frappant d'un coup de masse en bois le grand couteau à large lame qu'on avait glissé sous une ouïe. Ce premier coup déclenchait déjà de grandes coulées de sang noir. Mais c'était pire après chaque tranche détachée par chaque coup de masse. Le thon débité en lamelles, c'était une rivière de sang et des éclaboussures rouges, noires, violettes sur le grand tablier blanc de rude toile que ma grand-mère avait passé en défense d'une poitrine avancée, qui ballottait quand elle faisait aller et venir son couteau pour tout d'abord entailler la peau de la bête, puis qui sautait sauvagement quand elle abattait sa masse dans un grondement.

Du tablier, le sang passait aux bras découverts par des manches retroussées, au cou puissant, aux mèches de cheveux qui commençaient à battre son visage. La rage finissait par prendre cette femme devenue sauvage. Elle avait commencé très tôt le matin à débiter ces énormes poissons et quatorze heures allaient passer qu'elle était toujours à agiter son couteau, à abattre sa masse.

Nous -c'est-à-dire tout le reste de la famille- attendions religieusement que l'oeuvre soit achevée pour ouvrir les portes du magasin et servir enfin la multitude des porteurs de cartes de tickets qui attendait au dehors. Insensibles aux rumeurs, au tapage, au charivari qui commençait à s'installer sur le boulevard par dehors notre sanctuaire familial, nous assistions muets au carnage.



L'absence de gardien de la paix inquiéta tout de même ma mère. Bien sûr, elle n'aurait pour rien au monde interrompu la cérémonie, mais elle m'ordonna malgré tout de me mettre en place pour entamer le découpage des tickets. Elle-même se dirigea vers les portes à battants qu'elle entrouvrit pour laisser passer un à un les prétendants au thon. Elle espérait ainsi calmer la populace.

Contrairement à ses espérances, une bousculade s'instaura pour savoir qui arriverait le premier à la porte étroite. Ce qui irrita les timides, découragea par avance les vieux, étouffa quelques-uns des enfants se trouvant par hasard dans la queue, fit se quereller les violents et battre les sans-grade.

Tout se gâta lorsqu'après quelques cartes découpées la foule s'aperçut que la distribution ne commençait toujours pas. Les gens étaient là depuis le matin, tout comme ma grand-mère d'ailleurs ; mais eux n'avaient pas de thons à découper. Une fois épuisées les rares nouvelles que l'on pouvait avoir du front de Russie ou après s'être amusé à compter combien de Juifs osaient encore sortir dans le quartier, on s'était souvenu qu'on avait faim. Peut-être l'odeur du sang répandu y était-elle pour quelque chose.


                           ... ( à suivre) .....

samedi 14 janvier 2012

"LES ENFANTINES" en BLOG (10)

LA DISTRIBUTION (1)

Périodiquement, ma mère qui avait le banc de poisson le plus important du quartier organisait une distribution monstre. Le commissariat de la rue Abbé de l'Epée lui déléguait habituellement un agent qui assurait l'ordre et, avec l'aide de ma tante Augusta, de ma grand-mère et de quelques autres femmes de la famille, elle débitait, en une ou deux journées, plusieurs tonnes de poisson.


Thons entiers, sardines en casiers brillants, merlans à l'oeil vitreux s'entassaient tout au long du couloir qui, de l'appartement que nous habitions, menait au magasin.

C'était le temps des restrictions ou, pour parler plus franchement, du rationnement. Chaque personne avait sa carte de tickets. On avait droit à plus ou moins de sucre, à du lait ou à du vin suivant l'âge que l'on avait. De cette époque date peut-être la première prise de conscience de l'adolescence en tant que classe puisqu'elle constituait déjà le groupe alimentaire des J3 qui s'intitula ensuite les zazous, puis les yéyés, etc.

Je n'appartenais pas à cette classe privilégiée, presque aussi bien nourrie que celle des travailleurs de force dont, par contre, la conscience de classe était forcée d'être mise en veilleuse. J'étais encore enfant et catégorisé comme tel alors que je me sentais parfaitement digne d'être adulte puisque j'en avais certaines fonctions. N'était-ce pas moi qui découpais dans le vif des cartes de rationnement ce qu'il fallait de tickets pour avoir droit à un quart de centième de tranche de thon ou pour être autorisé à défiler, narines grandes ouvertes, devant quatre merlans fatigués de tenir le garde-à-vous?

Ces affamés qui attendaient leur tour n'en croyaient pas leurs yeux de voir un enfant suffisamment bien nourri pour effectuer une tâche qui aurait justifié une carte de travailleur de force. Faire s'activer une paire de ciseaux au milieu d'un dédale de tickets de toutes les couleurs était une prouesse de suralimenté.

Suralimenté, je l'étais en effet car, les trois autres quarts de centième de la tranche de thon et le reste de la compagnie de merlans, je les amenais en douce et en cachette, qui à l'épicière, qui à la boulangère, qui au boucher pour recevoir en échange du pain, des biscottes, du bifteck et des pâtes. Les commerçants avaient leur façon à eux de me laisser jouer dans leur carte de rationnement.

                                                   ... (à suivre)............

lundi 9 janvier 2012

"LES ENFANTINES" en BLOG (9)

LA FEUILLE A NIGAUDS (2)

Quand il était l'heure pour lui de se mettre à table, il sortait à pas lents du BAR du COIN, balançait ses épaules d'où pendaient deux bras inutiles, arrivait jusqu'au milieu du trottoir et mettait deux doigts bagués dans sa bouche. Le son perçait les branches basses des platanes, rebondissait sur les tentes pare-soleil et nous atteignait en plein front. L'effet était assuré : Quasimodo se serait pendu à toutes les cloches de Notre-Dame qu'on n'aurait pas mieux su qu'il était midi. Aussitôt, Loule levait la tête et s'écriait, toujours sur le même ton :

- C'est midi, les gars ! Faut que j'aille à table !
Et mon Loule prenait ses jambes à son cou.

On peut donc juger de la puissance terrifiante et tranquille du père de Loule.
tait justement lui qui, incognito, s'approchait de notre piège. Nous gloussions déjà d'aise comme à chaque ue l'on percevait l'arrivée d'un quidam ; et cette fois encore nous nous réjouissions à l'avance de ce qui allait se passer. Hélas! la suite signa notre déconvenue et nous découragea à jamais d'utiliser les perches à nigauds du magasin TUDOR comme matériel d'investigation psychologique.
re cobaye avança droit sur la feuille, la happa d'un geste vif. D'un coup sec, il cassa le mince fil noir et s'avança, en prenant une direction subitement perpendiculaire à sa trajectoire initiale, vers le banc où nous nous tassions, tassions, tassions comme pour nous protéger, infâmes larves de fourmis, de la langue du tamanoir.



Il nous toisa.

Qu'il nous parut immense ! qu'il était effrayant !



Ce fut la seule fois où nous vîmes notre copain Loule prendre le chemin de la maison sans que son père ait à émettre le moindre sifflement.



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dimanche 8 janvier 2012

"LES ENFANTINES" en BLOG (8)

LA FEUILLE A NIGAUDS (2)

En dehors de ce comportement tout à fait courant, nous obtenions des attitudes des plus cocasses. Plus le jour baissait, plus le mystère s'épaississait et certains finissaient par se mettre en contemplation devant cet ange balançant au-dessus de leur tête ; ils repartaient en se signant et à reculons. D'autres, plus téméraires, tentaient d'attraper l'aérochose qui se déchaînait alors dans une danse à soubresauts et ricochets fantasques.


Le moindre geste était noté chez les individus originaux. Nous nous régalions de mines, d'attitudes, de réflexions faites à haute voix. Nous avions inventé, farceurs et précurseurs comme nous l'étions, la caméra invisible qui fit beaucoup plus tard les beaux soirs de la télévision française.

Mais il advint que la pénombre sur laquelle nous jouions, nous joua elle-¬même un tour. Après avoir travaillé longtemps pour nous dans cette activité particulière comme dans bien d'autres,- la nuit nous trahit.

Si le soir qui tombait ne permettait pas aux piétons de voir qu'un fil à coudre reliait la feuille qui balançait devant leur nez à cette bande de garçons apparemment sages et recueillis sur leur banc, il ne nous était pas permis non plus de distinguer qui s'approchait de la feuille à bascule. De plus, nous n'osions pas trop tourner la tête pour observer car, la relation entre le phénomène et notre curiosité aurait été éclatante. Nous avions été plusieurs fois sur le point de prendre le large à cause de rires intempestifs ou d'un trop grand nombre de visages tournés dans le mauvais sens.

Avions-nous été beaucoup plus craintifs ce soir-là ? Bien mal nous en prit ! Celui qui s'approchait de la feuille à nigauds et que nous n'avions pas reconnu connaissait notre test : c'était le père de Loule ! Le terrible père de Loule qui d'habitude préférait le BAR du COIN mais qui, ce soir-là, sortait dans notre dos du BAR MODERNE où il était allé traiter une de ces affaires peu banales qui allaient nous le prendre, non pas pour le travail obligatoire, mais pour le repos forcé du côté de la prison des Beaumettes.

On ne plaisantait pas avec le père de Loule. Il était le type même de ce qu'à MARSEILLE on appelle un "maq", sans que ceux que l'on dénomme ainsi soient forcément proxénètes. Ce qui fait que l'on est "maq", c'est l'allure, la démarche, la façon de porter la tête, l'absence de sourire et l'économie de paroles. Le père de Loule ne parlait jamais : il sifflait.

Quand il était l'heure pour lui de se mettre à table, il sortait à pas lents du BAR du COIN, balançait ses épaules d'où pendaient deux bras inutiles, arrivait jusqu'au milieu du trottoir et mettait deux doigts bagués dans sa bouche. Le son perçait les branches basses des platanes, rebondissait sur les tentes pare-soleil et nous atteignait en plein front.
                                               ... ( à suivre) .....

"LES ENFANTINES" en BOG (7)

La fin de l'été raccourcissant les jours nous apportait l'une de ce distractions cycliques qui jalonnent une année de jeux.




L'ombre qui tombait plus vite chaque soir nous incitait à profiter de l'équivoque qu'elle introduisait. Comme par ailleurs les feuilles des platanes fatiguées d'avoir résisté à tout un été de chaleur commençaient à lâcher leur appui sur les branches, il nous fallait conjuguer les deux phénomènes, pénombre et feuilles tombantes, dans un nouveau tour inspiré des Pieds Nickelés, héros qui, à l'époque, atteignaient leur apogée de gloire.



A l'avant du magasin des TUDOR, électriciens radio, s'avançaient , à trois mètres au moins du sol et par-dessus une enseigne branlante, deux barres de fer qui avaient dû servir de support à une toile de tente faite jadis pour atténuer les ardeurs du soleil. Les barres s'allongeaient bien jusqu'à deux, trois mètres au-dessus du trottoir. Elles étaient des perches de choix pour attraper les nigauds.



Il suffisait de passer un fil à coudre noir à cheval sur l'une des deux barres, d'y accrocher par la queue une belle feuille de platane et, sans se montrer, de tirer sur le fil au passage de tout individu normalement constitué en apparence. Le jeu était un test de personnalité. Toute l'équipe assise sur le banc situé dans le prolongement des barres tournait le dos à la scène. Mais en réalité nous n'en perdions pas une. La feuille, descendue à hauteur de nez d'homme, balançait de droite et de gauche.



Le passant isolé de cette heure tardive la regardait et, croyant à une chute normale, battait l'air de son bras pour évacuer cet iceberg végétal qui naviguait dans ses eaux. C'est alors que subitement la feuille se mettait à remonter dans un sursaut d'énergie et comme pour se raccrocher à son aire de lancement. Les trois-quarts du temps notre passant écarquillait les yeux comme à un miracle, rasait le mur en s'éloignant à pas accélérés, sans plus tourner la tête de peur de rompre un ordre sodomico-gomorien.



Nous pointions alors sur un carnet : "une de plus !" Un de plus dans la catégorie des normaux, c'est-à-dire des superstitieux, des croyants, des mystiques, des pétochards et peut-être bien déjà des miliciens car on parlait depuis peu d'organisations patriotiques.

   ..... (à suivre).....      

vendredi 6 janvier 2012

"LES ENFANTINES" en BLOG (6)

Aujourd'hui, suite et fin de COCO VOLE (2)

Or, l'été, c'était aussi la saison des rideaux de canne que les commerçants suspendent à l'entrée de leur magasin dont la porte reste ouverte. De cette canne, nous faisions, nous, des sarbacanes ; au grand courroux des commerçants d'ailleurs et surtout des bouchers, car ce sont ceux qui se mettent le plus fort en colère !


Pour ces sarbacanes, il nous fallait des projectiles. Or, ce cochon de perroquet était nourri grassement de belles et dures graines rondes d'un diamètre ajusté à celui de nos engins de mort. A chacun de nos passages, il se voyait donc délesté de plusieurs bonnes poignées de manne. Non sans protester, l'irascible ! Il jurait, tempêtait comme un capitaine au long cours qui revient des mers de Chine et qui trouve dans son lit son meilleur ami. De son bec dont il pinçait les tiges de fer de la grille, il se déplaçait à faibles enjambées mais d'une force herculéenne. On craignait toujours qu'il scie un barreau, qu'il se libère et qu'il nous tombe sur le dos tel un aigle vengeur. Mais il devait être plus fort en gueule qu'en bec car, il hésita toujours à se donner la liberté de passer des mots aux actes. Il se contentait de rager et de crier à tue-tête :

- Coco ! Coco volé ! Au secours ! Au secours, Coco !

Nous lui rendions coup pour coup et nos insultes valaient bien les siennes. Nous le traitions bien sûr de toutes sortes de noms d'oiseaux ; depuis "bec de lièvre" à "canari persan", jusqu'à "sauterelle à roulettes" (à cause de la couleur, bien sûr). Ces échanges verbaux se pouvaient aisément puisque la patronne de notre sympathique volatile, bavarde intarissable ¬- d'où le vocabulaire du protégé- s'éternisait en commissions oiseuses. Le papa du bébé jaune et bleu, pour son compte, naviguait, non pas en Chine, mais entre Marseille et Bastia sans qu'on sache exactement auquel des deux ports il était le plus attaché.

Ah! les belles tirades que l'on se payait ! Comme il était doux de dégoiser tout à loisir, et sur la marine marchande et les naufrages, et sur les pipelettes et leurs beaux enfants emplumés !

Longtemps dans notre ascension nous poursuivaient les réponses à nos tracasseries ; c'était comme le bruit de fond que fait le torrent sous les pieds de l'alpiniste. Cependant, le perroquet pervers ne se contentait pas d'invectiver son monde et de tancer ses voleurs : il se plaignait à sa patronne. Et Coco par-ci ! et Coco par là ! et Coco malheureux et Coco volé !

La boudinesque femme de navigateur, aussi revêche qu'elle était bavarde, conseillait alors son oiseau. Dans quel sens ? certainement pas dans celui de la conciliation.

Un beau jour, le perroquet finit par s'enhardir. Il prit les conseils de la matrone à la lettre et sitôt la main d'un garnement passée à travers la grille pour plonger dans son écuelle, il se jeta à l'assaut en piétinant l'intrus prolongement. C'était BORRELY l'attaqué, un dégourdi qui savait pêcher les poulpes et leur retourner la calotte en deux temps trois mouvements ; mais le pauvre oiseau l'ignorait.

Bientôt, il fut à demi déshabillé et tant de plumes volaient à travers les grilles jusque sur le mitan du trottoir que ceux qui ne participaient pas à l'ascension, du bas de la vallée, en levant les yeux vers les cimes, criaient :

- Un condor ! un condor !

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jeudi 5 janvier 2012

"LES ENFANTINES" en BLOG (5)

Aujourd'hui débute une histoire en deux épisodes.

COCO VOLE (1)

Le boulevard était notre terrain vague, notre HIMALAYA, notre jungle. Il devenait la scène, le théâtre d'aventures inimaginables et périlleuses.

Nous cherchions le danger, nous courions des risques ; mais tout juste ce qu'il fallait pour que le coeur palpite sans décrocher. Une prudence de navigateurs grecs qui partent à l'aventure sur leurs frêles esquifs...sans jamais quitter les côtes de vue.

Par exemple, nous faisions de l'alpinisme, un alpinisme qui se rapprochait de l'escalade que pratiquait déjà notre compatriote REBUFFAT dans les calanques de Sormiou, de Morgiou et bien d'autres encore, avec la mer en moins et sans corde ni mousqueton puisqu'il s'agissait simplement d'aller du n° 85 au n° 97 du boulevard sans jamais mettre le pied par terre.
Pour cela, nous utilisions racle-pieds, devant de portes et grilles de fer protégeant les fenêtres du rez-de-chaussée. Passer d'une fenêtre à une marche d'entrée posait quelquefois de tels problèmes que nous avions décrété que les plaques de fonte cachant le débouché de la chute des gouttières seraient refuges, lieux de pose du pied. Tout le reste brûlait ; c'était ce qui me fait penser aujourd'hui que nous étions en avance sur Haroun TAZIEF et ses disciples qui promènent à l'intérieur des cratères. Notre démarche était identique, notre propos similaire. Seul l'objet d'étude changeait. Pour nous, il ne s'agissait pas, comme pour le savant, de connaître le monde. Il était question d'arriver à une plus grande maîtrise de soi, d'améliorer l'être en le plaçant volontairement dans une situation-problème dont les contingences avaient été définies, amendées par le clan. Respecter les règles tout en s'affranchissant des difficultés que l'on s'était donné devenait notre objet d'étude. Une éducation empirique et naturelle pour enfants citadins et libres.

Il nous arrivait à la belle saison de tomber nez à nez, dans nos excursions, avec des spectacles de toutes sortes. Combien d'intérieurs calmes, rafraîchis par des courants d'air que déclenchaient les vitres grandes ouvertes, combien de sommes réparateurs ou de lectures captivantes n'avons-nous pas pénétrés ? En arrivant par la force des poignets à la hauteur du plateau des fenêtres ouvertes, on enfonçait son regard jusqu'à des mystères sombres et ombreux qu'entrecoupaient les lames de lumières qui venaient de l'autre face de la maison, celle où le soleil dardait à travers les persiennes ajourées. Coquins, nous espérions toujours quelque belle marseillaise en combinaison, car c'était la tenue d'intérieur des dames aux heures chaudes en ce temps-là. Le valisère et la soie pouvaient nous faire oublier nos préoccupations d'alpinistes. Je me demande maintenant si les grands de la bande n'avaient pas inventé ce jeu pour se donner l'occasion de surprendre des nudités et des corps en sous-vêtements.

En fait, ce qui me fait parler de l'alpinisme boulevardier n'a rien à voir avec l'érotisme. La raison de cet épisode on la doit à un perroquet. Il y en avait un, avec sa chaîne de fer accrochée aux grilles de protection de la fenêtre d'un rez-de-chaussée surélevé. Cette fenêtre se trouvait sur notre itinéraire habituel, entre l'endroit où il fallait passer grâce à la franchise que nous nous étions donné de pouvoir poser le pied sur certaines plaques de fonte et le grand perron des SOLOR où l'on reprenait ses forces. Evidemment, l'animal n'était attaché là que l'été et avant que le soleil tournant vienne frapper cette façade.

                                        ... (à suivre)...

mercredi 4 janvier 2012

"LES ENFANTINES" en BLOG (4)

LA CARRIOLE (5)

FABRE et les autres m'arrachèrent des mains le peu de ficelle qui me restait dans les doigts. Etait-ce pour m'humilier un peu plus ? pour ficeler mon frère au tas de planches enchevêtrées ?


Pas du tout. Le sens pratique de cette équipe entraînée prenait le pas sur son aptitude à la moquerie. On ramassait les débris, on récupérait les clous, on courait après les roues. Mon frère fut prestement extrait du fracas de bois par ma mère alertée au bruit du tonnerre. Elle avait quitté son banc de légumes où elle avait laissé ma tante Augusta et l'ensemble des clientes en choeur des vierges, bras levés, ce qui avantage toujours un peu les poitrines.

La fabrication d'une autre carriole pouvait commencer ; sur l'un des bancs vert qui servirait d'établi comme d'autres de ses semblables servaient déjà de relais de diligence, d'îlot perdu dans l'océan en furie, de gradins, d'arènes, etc. Jacques irait chercher la scie de son père, Loule se débrouillerait pour subtiliser un marteau à sa tante, la grosse Mme FERRIER, épicière en renom. FABRE m'ordonnerait d'aller chercher quelques clous, les moins rouillés possible, de ceux qui sortent en grimaçant du monticule de casiers à poissons qui empestent notre cour intérieure. Les tenailles, on les aurait par BORRELY dont le père est plombier.

On va t'en faire une de carriole, tu vas voir ! Avec ces roues en fonte, finalement c'est pas plus mal si on réfléchit bien. Tu te rends compte le bruit que ça va faire ! Bien montées, et pas timidement accrochées comme ton père l'avait fait, on va réveiller les morts qui attendent d'être transportés à St-Pierre ! Tu nous entends venir de devant le bar Pierre en tirant tout ce qu'on peut sur la corde ?

Le cantonnier, ce jour-là, n'arrosa pas le trottoir autour de nous lorsqu'il passa avec son grand balai à touffe : nous avions l'air si préoccupés et si graves qu'il nous contourna. Il avait senti qu'il devait se dispenser de nous asperger copieusement comme il le faisait d'ordinaire sous le prétexte de rafraîchir le quartier alors qu'il se vengeait sournoisement de nombreux barrages construits par notre bande le long du caniveau.

A midi passé, lorsque le tramway dégorgea son trop plein de dactylos, de petits ronds de cuir et de fonctionnaires pressés, mon père reçut en plein visage cette image étourdissante de ces deux fils cramponnés comme ils pouvaient à la rambarde d'une carriole flambante, tirée, poussée, entourée, escortée d'une nuée de garnements hurlants. Il serra un peu plus fort sa main autour du cylindre du journal du jour, releva la tête et passa comme sans nous voir : il avait reconnu les roues de fonte et le bois peint en jaune de la défunte chaise haute, le tout recomposé dans une restructuration géniale et efficace à n'en point douter puisque l'attelage filait bon train maintenant vers la rue du Progrès.

Mon père venait de mesurer définitivement ce qui n'était jusqu'alors qu'une légende : il n'était pas doué pour le bricolage.

A dater de ce jour, il renonça à tout marteau, à la moindre pointe. Il ne fallut plus lui parler d'un quelconque tournevis. Et quand il passait près de la carriole trônant dans la cour parmi d'autres chefs-d'oeuvre, il s'assurait toujours que le temps allait rester au beau ou que le mistral tomberait bientôt. En levant les yeux au ciel, bien sûr.

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Demain commencera une nouvelle aventure, une aventure intitulée COCO VOLE.

"LES ENFANTINES" en BLOG (3)

LA CARRIOLE (3)

Le pauvre père emprunté d'un marteau se mit donc ce dimanche à mesurer, scier, clouer, détordre les pointes rétives, hurler à ses maladresses douloureuses devant nous qui pouffions dans notre barbe. Du bois d'une caisse sortit la plus grotesque carriole qui fut, qui soit et qui reste. Flanquée, comme on dit, de ses quatre roues à ailettes, elle toussait et crachait comme une vieille diligence en désespoir de l'Ouest. Le moindre soubresaut du ciment de notre cour (où nous l'avions essayée tout timidement) la faisait hoqueter et danser une curieuse danse de Pise.


Et notre père, mains aux hanches, sourire aux lèvres, dans l'entrebâillement de la porte, à nous regarder comme un forgeron fier de son enfant de fer ! Pauvre innocent du bricolage ! pauvre naïf du travail manuel ! Prendre un canard sauvage de carriole boiteuse pour un alezan de race, c'était bien là le seul crime dont soit capable ce cérébral tourmenté.
Mais pour nous qui l'admirions et qui étions si heureux d'avoir enfin l'engin désiré, nous arborions en écho son contentement de maître d'oeuvre.
Ce soir-là, l'oreiller, sous nos têtes, fut peuplé de Sioux au galop, de chevauchées débridées, de poussière royale au milieu de laquelle trônait notre machine de fer.

Au lendemain d'une nuit mouvementée, ce fut le lancement.
Pour faire encore plus d'effet sur les collègues, nous avions attendu qu'il soit suffisamment tard dans la matinée afin d'être sûrs qu'ils soient tous réunis et assistent, comme au cirque, à notre entrée. Il était prévu que mon frère monte dans la caisse et que je tire du plus vite que je pouvais pour arriver comme le tonnerre dans le groupe des garçons du quartier.
Ce qui fut fait. Et à belles enjambées de mes gambettes en fil de fer de garçon de sept ans, je me mis à galoper à travers la steppe du trottoir. Galoper avec ce merdouillon de frère qui se prenait au sérieux dans sa carlingue blindée et qui poussait des hue ! dont on ne saura jamais s'ils étaient d'encouragement, de douleur ou de peur.

L'effet fut d'un radical à n'en point douter. On nous bloqua la trajectoire, je m'empêtrais dans les ficelles que je tirais, une partie de la carriole resta sur son arrière avec mon frère qui basculait. Le reste fut un rire à couvrir de honte le pauvre orgueilleux que j'étais.
Notre carriole n'était donc pas ce qu'on attendait. Pas plus un coursier à faire baver d'envie qu'une carne solide et prête à traverser toutes les épreuves. Elle n'était d'ailleurs plus qu'un amas d'où jaillissaient en gigotant les membres meurtris de mon jeune frère. Tout un dimanche de patience et d'amour, de recueillement et d'application qui partait en déconfiture, en liquéfaction sur le sentier de la guerre qui, du coup, venait de finir.

FABRE et les autres m'arrachèrent des mains le peu de ficelle qui me restait dans les doigts. Etait-ce pour m'humilier un peu plus ? pour ficeler mon frère au tas de planches enchevêtrées ?

           ... (à suivre) ...

mardi 3 janvier 2012

"LES ENFANTINES" en BLOG (2)

LA CARRIOLE 2 (suite)
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Je n'avais donc pas de carriole.

Où aurais-je pris les roulements indispensables ? J'avais pourtant grande envie d'un engin de ce type. Les copains s'enhardissaient à en fabriquer. Ca allait des plus rudimentaires aux plus perfectionnés ; mais toujours étaient nécessaires ces roulements à billes qui devenaient valeur première dans ce monde d'enragés de vitesse. Chaque carriole en exigeait quatre : deux à l'arrière qui étaient fixés à la partie la plus large et sur laquelle reposait le corps du risque-tout ; deux à l'avant montés sur un bras transversal et mobile qui permettait les manoeuvres. Sur ce bras, les mains étaient crispées, les doigts au ras du sol. Combien de phalanges râpées au ciment du trottoir ! combien de poignets cassés dans des descentes d'allure folle !

Il me restait à trouver le moyen d'avoir ma carriole. Et déjà l'ersatz, l'idée du truc me prenait ; cette vieille manie infantile de croire faire comme si c'était l'objet alors que l'on n'en a qu'une faible copie, qu'une reproduction de pacotille.
Nous jouions quelquefois avec une de ces vieilles chaises hautes destinées aux tout jeunes enfants qui, repliées, donnaient une table roulante avec siège attenant. Les quatre roues étaient en fonte et, faute de roulements, elles pouvaient très bien être utilisées comme tels. Mais encore fallait-il convaincre père et mère de la nécessité de détruire cet objet familial déclassé pour faire du neuf. Cela serait facile dans la mesure où le Marseillais accepte volontiers de déstructurer l'héritage pour en réinvestir certains éléments dans une construction nouvelle. Mais cette construction nouvelle se justifiait--elle ? serait-elle rentable ? réussie ?

Notre père dut comprendre combien il était important pour nous de pouvoir ressembler aux autres, de nous faire reconnaître comme membres de la bande. La carriole était l'uniforme, l'emblème, la valeur fondamentale ; sans elle, nous restions les minus de l'équipe, les incapables, les pas dégourdis, les manchots, les petits timorés. Posséder une carriole nous aurait redonné la considération des camarades. J'avais toujours réussi jusque là à me procurer les valeurs pouvant me donner une place à l'intérieur du groupe de copains qui se situait géographiquement du 70 au 115 du boulevard Chave ; je ne voulais pas être en reste maintenant que la carriole était reine.

On détruisit donc la chaise haute. On démonta plutôt, pensant que les éléments de bois pourraient être utilisés soit dans la construction de la carriole, soit à tout autre chose non encore imaginée. Précieusement furent recueillies les roues de fonte. On les apprécia ; du regard et de la main. Elles étaient bien ce trésor attendu et combien l'impatience nous rongeait de les voir fixées au tapis volant qu'on espérait tant.
         ... (à suivre)...

lundi 2 janvier 2012

"LES ENFANTINES" en BLOG (1)

Je vous ai promis de publier sur ce blog les textes constituant un recueil intitulé "LES ENFANTINES". Ce sont quelques souvenirs d'enfance du petit garçon marseillais que j'étais à l'époque, c'est-à-dire pendant les années 39/45. A l'encontre de ce qui se passe lorsqu'on feuillette un livre, ici les épisodes vont se dérouler à l'envers. Pour ceux qui prendront en route la lecture de ce recueil, il sera nécessaire de remonter dans le temps pour prendre la suite des textes dans l'ordre.

1. LA CARRIOLE

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Le boulevard Chave à Marseille était d'ombre et de fraîcheur en ces temps riches. Bouillonnant de commerces qui s'échelonnaient de part et d'autre de chez nous comme sur le trottoir d'en face, pourtant plus froid et frappé de mistral.

Le quartier était celui du pain, du vin, de la charcuterie, des pâtes, du poisson. Les déballages verts de nos légumes odorants, le parfum sensuel du poireau écrasé, l'arrivage mouillé d'algues des sardines du golfe et des rougets de roche, tout cela était annonciateur de repas craquants et de faims assouvies.
Les bancs verts existaient encore au bord du trottoir. Ils étaient confortablement tournés vers le paysage fleuve qu'était le macadam à tramways. Le soleil des jours d'été n'en finissait pas de bomber le ciment où roulaient nos carrioles à la diable.
Ces engins étaient de griserie. Montés sur roulements à billes, ils s'emballaient d'un élan, épousant le ras du sol et contournant les passants dans des dérapages crissants.
Soit que l'on pousse du pied lorsque accroché à leur direction on se propulsait soi-même, soit que l'on se fasse pousser d'une main ferme dans le dos ou qu'une ficelle attelée de quatre à cinq sauvages garnements entraîne l'appareil et son cavalier dans des liesses étourdissantes, c'était de toute façon l'emphase, le déchaînement et le risque.
Le trottoir de ciment vibrait à l'envol des carrioles comme au passage des tramways d'Aubagne, ceux qui avaient deux longues voitures lourdes. Chevauchant nos coursiers bruyants, nous étions plus inquiétants encore pour les habitants du quartier. Les piétons d'un certain âge nous craignaient tout particulièrement. Il leur fallait nous éviter, se garer quelquefois prudemment sur les pas de portes lorsque deux à trois carrioles débouchaient en fracas et de front.
La carriole était la marque du voyou. Il fallait une certaine dose de canaillerie pour avoir le toupet de zigzaguer entre les pattes des bourgeois de ce boulevard bien-pensant. Aussi, la carriole et les chevauchées étaient-elles souvent le fait de coquins des rues avoisinantes. Si quelque garçon du boulevard se risquait à confectionner ce genre de véhicule, ce n'était jamais le fils d'un commerçant.

Je n'avais donc pas de carriole.
                                                  ... ( à suivre)

VOEUX

L'Année 2012 est commencée. On peut donc s'offrir des voeux.
Que vous soyiez comblé (e) (s) (es)!
Georges Lautier

dimanche 1 janvier 2012

VOEUX

Bonne et Heureuse Année 2012 à toutes celles et à tous ceux qui visitent ce blog.
Cette année je pense diffuser "Les Enfantines", un recueil de textes dans lesquels je raconte mon enfance marseillaise.
Une autre nouvelle : MONTER LA VIE A CRU va être réédité, cette fois pour être disponile sous la forme e-book. Je vous annoncerai sa diffusion prochaine et vous pourrez me lire sur votre tablette numérique, votre téléphone portable, etc.
Bonne Année 2012!
Georges