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dimanche 8 janvier 2012

"LES ENFANTINES" en BLOG (8)

LA FEUILLE A NIGAUDS (2)

En dehors de ce comportement tout à fait courant, nous obtenions des attitudes des plus cocasses. Plus le jour baissait, plus le mystère s'épaississait et certains finissaient par se mettre en contemplation devant cet ange balançant au-dessus de leur tête ; ils repartaient en se signant et à reculons. D'autres, plus téméraires, tentaient d'attraper l'aérochose qui se déchaînait alors dans une danse à soubresauts et ricochets fantasques.


Le moindre geste était noté chez les individus originaux. Nous nous régalions de mines, d'attitudes, de réflexions faites à haute voix. Nous avions inventé, farceurs et précurseurs comme nous l'étions, la caméra invisible qui fit beaucoup plus tard les beaux soirs de la télévision française.

Mais il advint que la pénombre sur laquelle nous jouions, nous joua elle-¬même un tour. Après avoir travaillé longtemps pour nous dans cette activité particulière comme dans bien d'autres,- la nuit nous trahit.

Si le soir qui tombait ne permettait pas aux piétons de voir qu'un fil à coudre reliait la feuille qui balançait devant leur nez à cette bande de garçons apparemment sages et recueillis sur leur banc, il ne nous était pas permis non plus de distinguer qui s'approchait de la feuille à bascule. De plus, nous n'osions pas trop tourner la tête pour observer car, la relation entre le phénomène et notre curiosité aurait été éclatante. Nous avions été plusieurs fois sur le point de prendre le large à cause de rires intempestifs ou d'un trop grand nombre de visages tournés dans le mauvais sens.

Avions-nous été beaucoup plus craintifs ce soir-là ? Bien mal nous en prit ! Celui qui s'approchait de la feuille à nigauds et que nous n'avions pas reconnu connaissait notre test : c'était le père de Loule ! Le terrible père de Loule qui d'habitude préférait le BAR du COIN mais qui, ce soir-là, sortait dans notre dos du BAR MODERNE où il était allé traiter une de ces affaires peu banales qui allaient nous le prendre, non pas pour le travail obligatoire, mais pour le repos forcé du côté de la prison des Beaumettes.

On ne plaisantait pas avec le père de Loule. Il était le type même de ce qu'à MARSEILLE on appelle un "maq", sans que ceux que l'on dénomme ainsi soient forcément proxénètes. Ce qui fait que l'on est "maq", c'est l'allure, la démarche, la façon de porter la tête, l'absence de sourire et l'économie de paroles. Le père de Loule ne parlait jamais : il sifflait.

Quand il était l'heure pour lui de se mettre à table, il sortait à pas lents du BAR du COIN, balançait ses épaules d'où pendaient deux bras inutiles, arrivait jusqu'au milieu du trottoir et mettait deux doigts bagués dans sa bouche. Le son perçait les branches basses des platanes, rebondissait sur les tentes pare-soleil et nous atteignait en plein front.
                                               ... ( à suivre) .....

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