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mercredi 4 janvier 2012

"LES ENFANTINES" en BLOG (3)

LA CARRIOLE (3)

Le pauvre père emprunté d'un marteau se mit donc ce dimanche à mesurer, scier, clouer, détordre les pointes rétives, hurler à ses maladresses douloureuses devant nous qui pouffions dans notre barbe. Du bois d'une caisse sortit la plus grotesque carriole qui fut, qui soit et qui reste. Flanquée, comme on dit, de ses quatre roues à ailettes, elle toussait et crachait comme une vieille diligence en désespoir de l'Ouest. Le moindre soubresaut du ciment de notre cour (où nous l'avions essayée tout timidement) la faisait hoqueter et danser une curieuse danse de Pise.


Et notre père, mains aux hanches, sourire aux lèvres, dans l'entrebâillement de la porte, à nous regarder comme un forgeron fier de son enfant de fer ! Pauvre innocent du bricolage ! pauvre naïf du travail manuel ! Prendre un canard sauvage de carriole boiteuse pour un alezan de race, c'était bien là le seul crime dont soit capable ce cérébral tourmenté.
Mais pour nous qui l'admirions et qui étions si heureux d'avoir enfin l'engin désiré, nous arborions en écho son contentement de maître d'oeuvre.
Ce soir-là, l'oreiller, sous nos têtes, fut peuplé de Sioux au galop, de chevauchées débridées, de poussière royale au milieu de laquelle trônait notre machine de fer.

Au lendemain d'une nuit mouvementée, ce fut le lancement.
Pour faire encore plus d'effet sur les collègues, nous avions attendu qu'il soit suffisamment tard dans la matinée afin d'être sûrs qu'ils soient tous réunis et assistent, comme au cirque, à notre entrée. Il était prévu que mon frère monte dans la caisse et que je tire du plus vite que je pouvais pour arriver comme le tonnerre dans le groupe des garçons du quartier.
Ce qui fut fait. Et à belles enjambées de mes gambettes en fil de fer de garçon de sept ans, je me mis à galoper à travers la steppe du trottoir. Galoper avec ce merdouillon de frère qui se prenait au sérieux dans sa carlingue blindée et qui poussait des hue ! dont on ne saura jamais s'ils étaient d'encouragement, de douleur ou de peur.

L'effet fut d'un radical à n'en point douter. On nous bloqua la trajectoire, je m'empêtrais dans les ficelles que je tirais, une partie de la carriole resta sur son arrière avec mon frère qui basculait. Le reste fut un rire à couvrir de honte le pauvre orgueilleux que j'étais.
Notre carriole n'était donc pas ce qu'on attendait. Pas plus un coursier à faire baver d'envie qu'une carne solide et prête à traverser toutes les épreuves. Elle n'était d'ailleurs plus qu'un amas d'où jaillissaient en gigotant les membres meurtris de mon jeune frère. Tout un dimanche de patience et d'amour, de recueillement et d'application qui partait en déconfiture, en liquéfaction sur le sentier de la guerre qui, du coup, venait de finir.

FABRE et les autres m'arrachèrent des mains le peu de ficelle qui me restait dans les doigts. Etait-ce pour m'humilier un peu plus ? pour ficeler mon frère au tas de planches enchevêtrées ?

           ... (à suivre) ...

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