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lundi 2 janvier 2012

"LES ENFANTINES" en BLOG (1)

Je vous ai promis de publier sur ce blog les textes constituant un recueil intitulé "LES ENFANTINES". Ce sont quelques souvenirs d'enfance du petit garçon marseillais que j'étais à l'époque, c'est-à-dire pendant les années 39/45. A l'encontre de ce qui se passe lorsqu'on feuillette un livre, ici les épisodes vont se dérouler à l'envers. Pour ceux qui prendront en route la lecture de ce recueil, il sera nécessaire de remonter dans le temps pour prendre la suite des textes dans l'ordre.

1. LA CARRIOLE

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Le boulevard Chave à Marseille était d'ombre et de fraîcheur en ces temps riches. Bouillonnant de commerces qui s'échelonnaient de part et d'autre de chez nous comme sur le trottoir d'en face, pourtant plus froid et frappé de mistral.

Le quartier était celui du pain, du vin, de la charcuterie, des pâtes, du poisson. Les déballages verts de nos légumes odorants, le parfum sensuel du poireau écrasé, l'arrivage mouillé d'algues des sardines du golfe et des rougets de roche, tout cela était annonciateur de repas craquants et de faims assouvies.
Les bancs verts existaient encore au bord du trottoir. Ils étaient confortablement tournés vers le paysage fleuve qu'était le macadam à tramways. Le soleil des jours d'été n'en finissait pas de bomber le ciment où roulaient nos carrioles à la diable.
Ces engins étaient de griserie. Montés sur roulements à billes, ils s'emballaient d'un élan, épousant le ras du sol et contournant les passants dans des dérapages crissants.
Soit que l'on pousse du pied lorsque accroché à leur direction on se propulsait soi-même, soit que l'on se fasse pousser d'une main ferme dans le dos ou qu'une ficelle attelée de quatre à cinq sauvages garnements entraîne l'appareil et son cavalier dans des liesses étourdissantes, c'était de toute façon l'emphase, le déchaînement et le risque.
Le trottoir de ciment vibrait à l'envol des carrioles comme au passage des tramways d'Aubagne, ceux qui avaient deux longues voitures lourdes. Chevauchant nos coursiers bruyants, nous étions plus inquiétants encore pour les habitants du quartier. Les piétons d'un certain âge nous craignaient tout particulièrement. Il leur fallait nous éviter, se garer quelquefois prudemment sur les pas de portes lorsque deux à trois carrioles débouchaient en fracas et de front.
La carriole était la marque du voyou. Il fallait une certaine dose de canaillerie pour avoir le toupet de zigzaguer entre les pattes des bourgeois de ce boulevard bien-pensant. Aussi, la carriole et les chevauchées étaient-elles souvent le fait de coquins des rues avoisinantes. Si quelque garçon du boulevard se risquait à confectionner ce genre de véhicule, ce n'était jamais le fils d'un commerçant.

Je n'avais donc pas de carriole.
                                                  ... ( à suivre)

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