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vendredi 20 janvier 2012

"LES ENFANTINES" en BLOG (15)

L'HUILE d'OLIVE (2)


Ce détour pour dire que les bons du papa auraient fini par rendre superfétatoires les va-et-vient du fils entre les divers commerces du voisinage si la guerre avait duré quelques mois encore ou si ce responsable du service du ravitaillement qu'était mon père n'était pas mort brusquement.


Quoiqu'il en soit, dans cette lutte autour de miettes et de bribes que se livraient les uns et les autres, dans cette course à la survie qui creusait toutes les joues, il restait un luxe dont les Marseillais, même en cette période de pénurie exemplaire, ne pouvaient se passer. Ce luxe, c'était l'huile d'olive. Dans n'importe quelle autre région de France, il eût suffi que des patates, du pain, du beurre ou du lait viennent coincer l'un ou l'autre des plis creux que l'on portait sur l'estomac à cette époque. Ici, il nous fallait notre huile d'olive, celle sans laquelle on ne sait plus faire une salade, frire un rouget, monter le moindre aïoli ou préparer la plus simple des brandades. Pour des gens qui donnent à leurs enfants en guise de goûter un morceau frotté d'ail imbibé d'huile d'olive, on comprendra aisément que cet ingrédient puisse être considéré comme une denrée vitale, à l'image de ce qu'est le calvados pour les Normands, aliment de base que l'on va jusqu'à glisser dans le biberon des bébés, paraît-il.

Aussi s'était-il instauré tout un marché parallèle de l'huile d'olive. Des campagnes descendaient bouteilles et bonbonnes gonflées de la précieuse liqueur jaune. Le traditionnel papier journal enveloppait précautionneusement chaque bouteille que l'on se passait solennellement, une main serrée autour du goulot, l'autre en plateau sous le culot pour éviter les glissements inducteurs de catastrophes. De tous temps, une bouteille d'huile d'olive cassée a signifié un an de malheur pour le maladroit qui la laisser échapper : ajoutez-y la valeur vénale du produit en temps de restrictions et vous aurez une notion approximative de l'étendue du désastre.



Pour les bonbonnes, le risque était moins grand, le risque de casse s'entend. Empaillées de joncs tressés, corsetées comme elles l'étaient dans des mailles empressées, elles pouvaient résister aux assauts les plus virils des mains les plus frustes. Au fond, n'était-ce pas à cause de cet excellent système de défense de leurs rotondités qu'on les appelle aussi chez nous des dames-jeannes ? Il existe malgré tout une différence entre les splendeurs opulentes même cachées des jeannes d'antan et la richesse en huile d'olive contenue dans une bonbonne : les premières, tout en étant bien défendues, se devinent encore et se reconnaissent comme telles ; la seconde exige au contraire un acte de foi car, à travers les mailles de la nasse de jonc, on ne peut distinguer un moine d'un curé.


            ... (à suivre) ...

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