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vendredi 20 janvier 2012

"LES ENFANTINES " en BLOG (14)

L'HUILE D'OLIVE (1)

Comme on a pu en juger dans l'épisode précédent, le temps n'était pas aux ripailles. En cette période d'occupation, si le poisson était rare, le beurre, les pâtes, la confiture et le pain ne l'étaient pas moins.


Nous avions la bonne fortune d'être une famille de commerçants du ventre, et nous ne manquions finalement de rien grâce à l'antique jeu des échanges et du troc. Combien de voyages ai-je fait, enfant innocent, entre l'épicerie des FERRIER, la boulangerie ou la charcuterie les plus proches et le magasin de mes parents ? C'étaient deux tranches de merlan contre un paquet de biscottes, une dorade pour quelques tranches de jambon, une douzaine de sardines pour un kilo de pâtes. Le barème des échanges était-il codifié à l'avance ou était-il laissé à l'appréciation du confrère ? (ce qui aurait pu donner l'impression que les commerçants entre eux ne faisaient que s'entraider). Je ne saurai jamais si la morale était sauve dans ces procédés : je n'étais qu'un agent anonyme et aveugle qui ignorait tout du code.

Je dus malgré tout en tirer quelque profit, alimentaire sinon éducatif. Quelques années plus tard, dans les compétitions sportives qu'il nous fallait livrer au collège, je parvins souvent à triompher des enfants de ceux qui n'avaient eu que leur carte d'alimentation pour survivre. Du moins, c'est là que je place les raisons de cette supériorité physique provisoire dont je fis preuve à 14/15 ans dans tout ce qui touchait à l'athlétisme. Il faut savoir être honnête quelquefois.

Et honnête mon père l'était ; vis à vis de ses principes, bien sûr. Fils de boucher, boucher lui-même pendant un temps mais défroqué depuis à cause de certaines tendances intellectualistes, il travaillait dans les bureaux de la Marine Nationale, ce bel hôtel sis sur la Canebière et gardé de matelots souriant aux filles retroussées de mistral..
Peut-être aurait-il aimé tout autant assurer ce rôle de cerbère aguicheur. Pourtant, comble de l'ironie, on l'avait versé au service du ravitaillement. Et son atavisme de boucher-¬charcutier maître en bouffe et en ripailles aidant, il avait grimpé, grimpé les échelons au point d'être responsable du service, c'est-à-dire dispensateur des bons de beurre, des bons de sucre, des bons de fromage. Il n'avait donc fait qu'un crochet par la plume et était vite retourné à la volaille. Mais l'essentiel n'était-il pas que le placard ne désemplisse pas ? Cette époque tragique de la Résistance a eu du bon en fin de compte : elle nous a démontré que ce qui fonde toute activité chez l'homme trouve son ressort dans le réflexe de conservation : conservation par résistance à la mort violente, conservation par la lutte contre la faim.
                                   
                        ... ( à suivre ) ........

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