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dimanche 5 septembre 2010

Réjouissons-nous!

Cependant, dans l'Alésani cette année des changements importants sont intervenus. Quatre filles à peine pubères ayant entre 12 et 13 ans se sont trouvées réunies au village pendant une quinzaine de jours. Ce fut par leur rencontre et leurs activités communes que la vie a envahi ce microcosme en train de s'essouffler. Les "vieux" n'ont pas tous senti à quel point ces quatre êtres découvrant la vie ont bouleversé les traditions (que l'on s'entête à vouloir maintenir à tout prix dans ce haut pays au-dessus de la mer). Cet escadron juvénile a fait table rase des anciennes pratiques domestiques, langagières, sociale et même morales.
Deux de ces filles sont des vacancières qui passent un mois par an avec leur famille dans des maisons qui sont celles de leurs ancêtres. Elles sont donc héritières d'un passé qu'elles ne cherchent pas à connaître. Elles importent avec elles une autre façon de vivre : celle des jeunes du continent. Les deux autres vivent toute l'année dans leur île, mais au bord de la mer, là où l'activité s'est déplacée, là où l'habitus ressemble à ce que l'on peut trouver à Marseille ou à Digne. Elles ont toutes fait de la danse. Elles ont toutes un appareil photo numérique et un téléphone portable dont partent de nombreux sms et textos. Agathe, ma petite fille, une des filles, a même un Ipod. Toutes écoutent de la musique, sont au courant des derniers tubes.

Elles organisèrent pour commencer un karaoké qui engloba les adultes vacanciers, pas ceux résidant en Corse. Cette activité étant "nouvelle" n'est pas très recherchée par la population autochtone. Nous avions travaillé avec Agathe (surtout Agathe) à placer sur mon ordinateur portable les paroles des chansons que nous nous proposions de faire chanter. Tout était programmé grâce à Power Point, notamment le déroulement des paroles synchronisé avec la musique que l'on allait chercher sur des disques de karaoké, mais aussi sur l'Ipod, les téléphones portables. Les grands parents aussi ont chanté. Avec Agathe, nous avions choisi Pour un flirt de Michel Delpech que nous avons chanté ensemble. On a bien ri et, surtout, les filles ont joué le jeu. Il est vrai qu'elles avaient glissé dans la liste des chansons des morceaux du répertoire actuel.
Deuxièmement, notre groupe de donzelles, dont chacune exhibait son nombril grâce à des shorts ou des jeans taille basse et portait fièrement leur jeune poitrine, organisa une boum.La boum était pour elles. Elles ont répété pour quand (peut-être l'année prochaine) elles iront en boïte. Malheureusement pour elles, il n'y a qu'un garçon de leur âge dans le village pendant les vacances. Il habite sur la plaine et ne s'intéresse qu'aux jeux vidéos. Il accompagne le groupe des filles, est leur spectateur privilégié, mais c'est tout. Il n'est pas consommable.
J'ai vu alors les nouvelles figures de la danse d'aujourd'hui. J'ai entendu (sur une télé équipée du son Home Cinéma) les morceaux sur lesquels on danse aujourd'hui. J'ai été stupéfait par la maîtrise de ces jeunes filles qui jouaient de leur corps avec un entrain et des compétences évidentes. Elles jouissaient de l'exercice de leur corps dans une activité qui va les conduire tout droit et très bientôt au contact du sexe complémentaire. C'était magnifique! C'était réconfortant : l'espèce humaine n'est peut-être pas aussi foutue que ce que l'on croit. La jeunesse reprend le flambeau, la jeunesse fait sauter les carcans tout en perpétuant cette envie de vivre, de se prolonger, d'occuper l'espace.
Heureux de constater cela, j'étais un peu moins désenchanté de mon séjour en Corse. C'est-à-dire que se trouvait enfin les germes d'un renouveau, d'une vivacité retrouvée. Cette fois avec d'autres moyens que les moyens ancestraux, que ceux qu'apporte la tradition. C'est le relais de la vie qu'assurent ces quatre demoiselles. Ce n'est plus la nostalgie. Et tant mieux au fond si elles ont choisi de danser, de chanter sur d'autres musiques que celles que l'on entendait ici sous les châtaigniers tricentenaires. Hélas, les échos de cette juvénilité s'estompent à Valle d'Alésani. Ils sont descendus jusque sur les bords de la mer, sur la plaine. Ils ont même traversé la mer pour les deux filles qui habitent sur le continent.

Il y a des lieux qui doivent faire le deuil de la vie.

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