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samedi 14 avril 2012

CONVOQUE PAR LE PROVISEUR (2) suite

Et c'était dans cet antre que je devais pénétrer maintenant.

Je frappais, timidement et comme espérant que le toc-toc de mon doigt soit absorbé par le bois massif de la porte et se perde dans les veines que je distinguais parfaitement sous la cire odorante. Il en fut bien autrement puisque mon appel fut entendu et que je reconnus la voix de M. Aeckert dire : Entrez!

Trois quatorze cent seize courait sur les murs tout autour de la pièce, enjambant le portrait du Président de la République de l'époque. Le quotient célèbre était poussé chaque jour un petit peu plus loin et notre directeur inscrivait ses décimales au mur, impunément. L'atmosphère en était imprégnée et, de ce fait, définie.

Il était clair, à ce que je comprenais du discours de M. Aeckert, que je ne pouvais en rien être considéré comme une décimale de cette suite arithmétique projetée sur les murs. En venant aux parois même de son bureau, le nez levé vers ces emboîtements numériques, il cherchait en vain à quel niveau j'aurais pu trouver place en m'identifiant à quelque chiffre bien venu. J'introduisais le désordre dans cette succession par le choix que j'avais fait de discuter de la raison de cette expression, d'un quotient qui, en lui-même, tel quel, ne posait aucun problème puisque, entité, il devenait un être à part entière. Le seul fait d'en effectuer le calcul, de le réduire au résultat d'une action opératoire et non créatrice déclenchait l'orage en moi et tous les paratonnerres environnants ne pouvaient manquer d'en vibrer. Sous cet orage, le paratonnerre qu'était M. Aeckert par définition se portait bien à décompter les gouttes de pluie. C'est la question causale, celle que posent les êtres à part entière, celle qui demande POURQUOI LES NUAGES? qui devenait insupportable à M. Aeckert, le chef d'établissement d'un établissement qui était établissement et dans lequel les originaux ne pouvaient trouver place. Il existait une définition de cet établissement comme existe la loi d'Assurbanipal sur la pierre de basalte encore au Musée du Louvre : elle excluait que tel type d'études puisse se faire ici puisqu'il devait se faire là-bas. Il était donc impossible que je puisse présenter l'examen de sortie sur d'autres critères que ceux qui fondaient l'établissement que dirigeait M. Aeckert. Sans cela, trois quatorze dent seize risquait le survoltage.

Je laissais le forcené hurler à la trop forte tension et j'entrais dans l'étude autodidactique, de façon oblique.

Notre entrevue électrique n'avait eu d'autre résultat que de me mettre le pied à l'étrier d'une vie intellectuelle adulte et joyeuse que je montais allégrement tout le restant de mon existence.

FIN

3 commentaires:

  1. Georges, ton dernier paragraphe me rappelle la citation de Aldous Huxley.
    « L'expérience, ce n'est pas ce qui arrive à quelqu'un, c'est ce que quelqu'un fait avec ce qui lui arrive.»

    Bisous tout doux et bon lundi,
    grimi

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  2. Bonsoir Georges ! Je me plonge avec toi dans une époque (pas si lointaine avouons le ) que je n'ai pas connu et que tu décris de manière si forte que j'avais l'impression d'etre cet élève dans le bureau du directeur M. Aeckert attendant son verdict . Bravo !! Bele soirée à toi !!

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  3. Grimimi et Jerry, je vous adore! Vous le savez bien d'ailleurs. Encore cette fois, je vous remercie.
    Georges

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