LA CARRIOLE 2 (suite)
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Je n'avais donc pas de carriole.
Où aurais-je pris les roulements indispensables ? J'avais pourtant grande envie d'un engin de ce type. Les copains s'enhardissaient à en fabriquer. Ca allait des plus rudimentaires aux plus perfectionnés ; mais toujours étaient nécessaires ces roulements à billes qui devenaient valeur première dans ce monde d'enragés de vitesse. Chaque carriole en exigeait quatre : deux à l'arrière qui étaient fixés à la partie la plus large et sur laquelle reposait le corps du risque-tout ; deux à l'avant montés sur un bras transversal et mobile qui permettait les manoeuvres. Sur ce bras, les mains étaient crispées, les doigts au ras du sol. Combien de phalanges râpées au ciment du trottoir ! combien de poignets cassés dans des descentes d'allure folle !
Il me restait à trouver le moyen d'avoir ma carriole. Et déjà l'ersatz, l'idée du truc me prenait ; cette vieille manie infantile de croire faire comme si c'était l'objet alors que l'on n'en a qu'une faible copie, qu'une reproduction de pacotille.
Nous jouions quelquefois avec une de ces vieilles chaises hautes destinées aux tout jeunes enfants qui, repliées, donnaient une table roulante avec siège attenant. Les quatre roues étaient en fonte et, faute de roulements, elles pouvaient très bien être utilisées comme tels. Mais encore fallait-il convaincre père et mère de la nécessité de détruire cet objet familial déclassé pour faire du neuf. Cela serait facile dans la mesure où le Marseillais accepte volontiers de déstructurer l'héritage pour en réinvestir certains éléments dans une construction nouvelle. Mais cette construction nouvelle se justifiait--elle ? serait-elle rentable ? réussie ?
Notre père dut comprendre combien il était important pour nous de pouvoir ressembler aux autres, de nous faire reconnaître comme membres de la bande. La carriole était l'uniforme, l'emblème, la valeur fondamentale ; sans elle, nous restions les minus de l'équipe, les incapables, les pas dégourdis, les manchots, les petits timorés. Posséder une carriole nous aurait redonné la considération des camarades. J'avais toujours réussi jusque là à me procurer les valeurs pouvant me donner une place à l'intérieur du groupe de copains qui se situait géographiquement du 70 au 115 du boulevard Chave ; je ne voulais pas être en reste maintenant que la carriole était reine.
On détruisit donc la chaise haute. On démonta plutôt, pensant que les éléments de bois pourraient être utilisés soit dans la construction de la carriole, soit à tout autre chose non encore imaginée. Précieusement furent recueillies les roues de fonte. On les apprécia ; du regard et de la main. Elles étaient bien ce trésor attendu et combien l'impatience nous rongeait de les voir fixées au tapis volant qu'on espérait tant.
... (à suivre)...
mardi 3 janvier 2012
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