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samedi 26 janvier 2013

COMPLICES (bonnes pages)

Mon real polar intitulé COMPLICES est chez un éditeur spécialiste du roman noir. Je n'ai aucun espoir. Ils vont le lire et j'en tremble. Malgré tout, chose promise, chose due, je vous glisse sous le manteau aujourd'hui deux à trois pages de ce roman.

Nous sommes au tout début, dans les premières pages. La première de mes héroïnes, Diane Bérangeon, vient de relever le courrier. Elle le transmet à son époux hémiplégique depuis quinze ans et ne pouvant plus parler.  Elle a mis de côté une lettre lui étant adressée à elle personnellement. Elle n'en a pas parlé à son mari.

Elle déposa en tas tous ces papiers sur une petite table accessible depuis le fauteuil dans lequel Arthur passait ses journées. Au même instant, la lettre revint à son esprit : qui pouvait bien lui écrire ? Avec ses filles, les contacts se faisaient par téléphone, à la rigueur par e-mails. Sa cousine d’Orléans n’écrivait jamais ; un coup de fil de temps en temps pour avoir des nouvelles. Elle se dit qu’il fallait qu’elle trouve le temps dans les moments qui allaient suivre pour décacheter cette lettre.

Et puis mince, la préparation du repas de midi attendra. Elle s’assura qu’Arthur était branché à sa télé, le regard un peu vide devant la magnificence du grand écran que ses filles lui avaient offert pour la Fête des Pères cette année. Il n’avait que ça pour le relier au monde. D’ailleurs, c’était une excellente façon de l’occuper. Diane laissait la porte ouverte du petit salon attenant à la cuisine dans lequel ils se trouvaient, lui et sa télé. Elle pouvait s’assurer ainsi que rien d’anormal ne se produisait et lui pouvait se tenir au courant de l’avancement ainsi que de la nature du repas aux bruits et aux fumets qu’il percevait provenant de la pièce voisine.

Elle ouvrit le tiroir du buffet, prit la lettre et s’adossa au meuble pour découvrir à son aise le contenu de la missive. 

Un couteau de cuisine qui traînait là lui facilita la tâche. Elle n’avait pas de hâte. Elle prenait son temps comme pour déguster encore plus l’attente en la prolongeant. Donc, pourquoi se précipiter sur l’enveloppe, la déchirer sans précaution ? Elle n’aimait pas ce désordre que créaient sur les tables des enveloppes de courrier déchirées à la main. Le couteau laissait par contre une fine déchirure sur le papier qui n’altérait en rien l’objet. Le contenu pouvait y être glissé après lecture, retrouver son écrin et on pouvait presque penser ensuite que la lettre n’avait même pas été ouverte pour garder son secret.

Quel était précisément le secret contenu par l’enveloppe que tenait en main Diane ? Sans trembler pour autant, elle se disait que c’était étrange cette lettre qui lui était nommément adressée. Un peu d’émotion la gagnait à être reconnue comme personne autonome par rapport à son époux. Tant de plis arrivés par courrier postal ne faisaient d’elle que l’épouse de M. Arthur Bérangeon. Bien sûr, elle avait conscience d’exister en tant que personne dans la vie de chaque jour. Très vite après son mariage elle s’était procuré des occasions qui lui avaient permis de conquérir une certaine indépendance dans le domaine des relations sexuelles. Mais cela restait dans l’ombre, dans le secret. Une lettre à son nom qu’apportait le facteur était comme la reconnaissance officielle de son existence propre.

Elle glissa délicatement la pointe du couteau de cuisine entre le rabat qui la cachète et l’autre face de l’enveloppe, là où elle a été pliée et collée : il s’y trouve toujours un faible bâillement qui permet l’intrusion d’une lame pointue. Et, sans geste brusque, presque lentement, après avoir trouvé le passage, elle fit avancer la lame. Délicatement car, et si c’était la lettre d’un amoureux ? Elle ne voudrait pas le blesser … . Elle pensa qu’elle était ridicule d’avoir encore de ces idées-là à son âge.

Voilà, l’enveloppe pouvait maintenant laisser entrer deux doigts qui permettrait à Diane d’extraire la feuille de papier qu’elle contenait. Aucun parfum apparemment ne s’exhalait. Une lettre simplement administrative alors ? Voyons. Tapée à la machine, ou plutôt non : transcrite par une imprimante après avoir été rédigée sur un ordinateur. Une entête à gauche composée d’un titre : COMPLICES, comme s’il s’agissait d’une entreprise. Et oui, effectivement c’était bien une entreprise qui lui écrivait, puisque la missive commençait par Chère Diane Bérangeon, notre entreprise … .

Diane leva la tête, prête à ne pas poursuivre la lecture de la lettre tant elle était déçue d’avoir cru à une surprise heureuse. Pourtant, instinctive comme elle l’était, se serait-elle trompée ? L’émoi qu’elle avait ressenti depuis qu’elle avait trouvé cette enveloppe dans sa boîte l’aurait-elle induite en erreur ? Habituellement ce trouble agissait sans jamais faillir. Elle l’avait vérifié dans maintes circonstances. Elle dressa presque avec lenteur la lettre devant elle, la tenant à deux mains pour bien en apprécier l’allure, la construction. Oui, c’était une lettre administrative, du moins dans son allure, son style. Mais son contenu, lorsque Diane en eut la révélation, la fit chercher vivement une chaise pour y trouver refuge.

En voici le texte :

Chère Diane Bérangeon,

Notre entreprise « COMPLICES » s’adresse à vous comme à tous ceux qui rencontrent des problèmes semblables à celui qui vous préoccupe actuellement. Nous sommes là pour vous aider à mettre un terme à vos tourments.
Vous savez de quoi nous voulons parler. Il est temps pour vous d’agir si vous voulez profiter des dernières belles années qui vous restent à vivre. Nous pouvons vous faire des propositions. Mais nous n’en dirons pas plus aujourd’hui car, bien sûr, votre discrétion et la nôtre sont le garant de la réussite de notre entreprise.
Si vous voulez connaître notre proposition, allez sur votre boîte numérique. Vous y avez un mail qui vous attend.
Nous vous souhaitons une bonne soirée.

La Direction de COMPLICES.

Stupéfaite ! Diane était stupéfaite ! Muette, pétrifiée, sans voix, sans réaction. Qui l’avait démasquée ? Qui connaissait ses pensées les plus profondes, le désir immense qu’elle avait de se libérer, de se débarrasser d’un poids énorme à ce moment même de sa vie ?"

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