Chatte sur un mur brûlant
jeudi 24 janvier 2013
06:59
J'ai vécu quinze jours, en
juillet 2010 en Corse, voisin d'une chatte sauvage qui avait mis bas dans la
maison jouxtant la nôtre. Dans cette maison écroulée depuis des décennies et
jamais reconstruite, la bête avait pensé avoir trouvé un refuge sûr pour ses
chatons. Loin de la gent humaine dont elle se tenait à distance, sauvage comme
elle l'était et, de plus, réfractaire à toute domestication.
Lorsqu'en bébés curieux les
chatons montrèrent enfin le bout de leur nez rose, ils firent des apparitions
fugaces et craintives. Très vite pourtant ils s'enhardirent toujours un peu
plus loin de leur couche natale située sous un grand mur. La mère se mit à les
gronder d'un grognement profond et terrifiant dont on n'aurait jamais cru
capable cette petite femelle efflanquée.
Lorsqu'elle s'approchait de chez
nous, elle s'étonnait d'abord de voir du monde dans cette maison voisine de la
sienne. Cette maison n'était-elle pas fermée habituellement? Ah mince! Voilà
que sa cache devenait repérable! Son choix pour accoucher n'avait pas été
parfait. Elle avait failli! Elle en adressait d'autant plus de remontrances à
ses chatons qu'ils n'étaient pour rien dans ce choix. Cherchant plus loin
encore un autre bouc émissaire, elle me rendait responsable du dérangement
qu'elle subissait. Elle eût désiré sans doute que je déménage, m'éloigne de ces
lieux qui étaient siens depuis qu'elle y avait eu ses petits. Je sentis que
j'étais un intrus, moi, les miens, tous les membres de la famille qui avions
pignon sur rue ici depuis que les ancêtres de mon épouse avaient fait
construire cette maison en 1751.
Remontant la rue en escaliers qui
la conduisait jusqu'à son antre, m'apercevant sur la petite terrasse si fraîche
l'après-midi cet été-là, elle s'immobilisait, prête à fondre sur l'impudent
toutes griffes dehors. Son grondement devenait féroce alors qu'il pouvait
prendre des accents attendris, raisonneurs, lorsqu'elle l'adressait à sa
progéniture. Ses yeux, ses yeux surtout, comme des boules de feu prêtes à
jaillir de ses orbites, se rivaient aux miens et, impérieusement,
m'adjoignaient de la respecter.
C'était pourtant ce que je
faisais! Hélas, j'avais cru bon, à la voir flancs creusés, mamelles gonflées,
regard enfiévré, d'accompagner la faible ration de lait maternel qui devait
devenir chaque jour plus réduite, de croquettes pour chatons nouveau-nés. Geste
condamnable, geste colonisateur, geste insupportable par la fière mère qui
tenait à élever seule ses enfants, loin des compromissions culturelles et
esclavagistes de l'Homme.
Elle déménagea sa petite famille
pendant toute une nuit durant en évitant chiens, renards, couleuvres, humains
attardés: six mignons chatons, tous différents. Je compris alors que cette
chatte, ardente et passionnée, avait dû connaître plusieurs partenaires lors de
l'ovulation qui prépara la naissance de mes petits voisins. D'ailleurs, je
connaissais dans le quartier des papas balafrés de ces si charmants chatons que
je saluais respectueusement depuis que je savais quel courage il leur avait
fallu pour monter une telle femelle.
Je me suis demandé longtemps
après s'il ne fallait pas utiliser cet exemple pour expliquer le comportement
sexuel d'autres mammifères, en l'occurrence ceux constituant l'espèce humaine.
Cette espèce se divise pour l'instant en hommes et en femmes. On sait que
l'homme est souvent accusé par la femme de lui faire l'amour sans trop prendre
garde à ce qu'elle attend d'un rapport sexuel qui reste malgré tout une
relation amoureuse. L'homme n'aurait pour objectif que l'éjaculation
libératrice de tensions très masculines alors que la femme souhaiterait que le
coït se prolonge, dure, s'étale pour qu'elle puisse prendre tout son plaisir
dans un orgasme qui se prolonge. Il est curieux aussi de noter que d'un côté
l'homme soit généreux de par le nombre de spermatozoïdes qu'il libère alors que
la femme est économe de ses ovules dont elle n'a qu'un stock limité.
Ainsi, même si dans des
situations de pluralité sexuelle une femme se donnait à plusieurs partenaires
au moment où elle traverse une ovulation, il n'y a que peu de chances de la
voir mettre au monde neuf mois plus tard un enfant rouge, un enfant jaune et un
enfant noir. Il serait vain pour cette femme de tenter de concurrencer ma petite
voisine, la chatte sauvage sur un mur brûlant.
Toutefois, cette histoire et la
réflexion que j'en ai tirée, me conduisent à relever que dans le comportement
sexuel, la femme et l'homme sont dotés de possibilités archaïques opposées qui
remontent à leurs ancêtres très lointains. Archaïques parce que ces
possibilités ne correspondent plus aux mammifères humains que nous sommes
devenus. Le mâle parmi d'autres mâles se devait d'être rapide alors que la
femelle face à la pluralité des mâles prenait son temps pour les accueillir.
Cette opposition entre les "styles" sexuels masculin et féminin n'est
plus de mise aujourd'hui. Et c'est peut-être ce qui explique les tensions que
l'on constate entre hommes/femmes.
A moins que l'Evolution travaille
déjà à harmoniser le comportement sexuel masculin sur celui de la femme. Auquel
cas, on pourrait mieux comprendre pourquoi le poète Louis Aragon a pu dire que la Femme était l'avenir de
l'Homme.
Georges Lautier
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