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lundi 11 mars 2013

HOMO DOMESTICUS


La récente journée de la femme m’a fait penser que le sort de certains hommes-toutous n’est peut-être pas aussi désolant que celui de la femme punching-ball, mais qu’il mérite d’être pris également en considération. Vous allez voir pourquoi.

Très tôt ce matin, comme à mon habitude, je descends l’escalier qui, au sortir de ma chambre, me conduit au niveau du rez-de-chaussée de la maison. Avec un ongle de ma main gauche qui balançait je ne sais pourquoi, j’accroche la structure en polystyrène que j’ai réalisée récemment. Celle dont j’ai posté deux photos dans mon blog il y a quelques jours. L’objet est allongé, composé de trois longs morceaux de polystyrène accolés. Au collage, et après qu’elle soit peinte, la structure s’est arquée. Je l’ai regretté un temps. Mais, maintenant, cet objet me fait penser à certains boucliers pas très larges que l’on trouve chez certaines tribus africaines avec lesquels les guerriers détournent de leur corps les lances ou les flèches qui tentent de les atteindre. C’était précisément ce que j’ai cherché avec cette composition : éloigner de moi les  attaques et les coups, ceux qu’en famille on peut se décocher. Vous savez bien, par amour, dit-on. Jamais autant qu’à cet instant matinal m’est apparue la réalité de ma condition. Je puis confirmer que si ces temps-ci je tente de m’évader par la réalisation d’objets picturaux, sculpturaux ou graphiques, c’est bien parce que j’affirme ainsi une autre réalité de ma nature, à savoir mon existence créatrice. Car je revendique cette existence en moi de pulsions fabricatrices, de réalisations inventives. Au plus haut point chez moi, alors que pour d’autres cette tendance peut n’être que passagère et néanmoins bienfaisante. Quant à ce qui me concerne, elle m’est salutaire, indispensable.

Mais avec la réflexion, elle se révèle, comment souvent, illusoire. Regardez : qu’ai-je choisi comme matière ? Du polystyrène ! Mais c’est un objet si volatile qu’un coup d’ongle l’écorne, l’altère, lui brise ses lignes ! Certes, je vais repasser de la couleur sur ce tout petit espace de blanc originel qui est maintenant apparu. Et le choix de ce matériau si fragile, s’évanouissant en cent millions de bulles au moindre choc, à la moindre tentative de perçage, de sciage, ce choix signe l’évanescence de ma tentative de survie, de ma révolte. C’est que mon existence aujourd’hui n’est plus que celle d’un homo domesticus, cette espèce que l’on rencontre dans les cuisines, les jardins, les boutiques, portant les sacs de madame, effectuant des tâches ménagères subalternes, à qui il est interdit d’innover, d’avoir des idées domestiques rompant avec les savoir-faire convenus.

C’était ça ma vie jusqu’à ce que s’y ajoute un épisode remuant la famille tout comme un tsunami l’aurait fait. J’avais réclamé le respect pour certains membres de la communauté dont je suis le lointain responsable. Que fait là en effet l’enfant dont ce n’est pas l’anniversaire lorsqu’on distribue des cadeaux à tous les autres ? N’est-il que le faire-valoir de ceux qui sont fêtés, réunis dans le même délire de cadeaux parce qu’ils sont tous nés en janvier ? J’ai ressenti l’injustice de ces réunions de famille. D’autant qu’elles ne se produisent pas pour l’autre, l’isolée,  parce qu’elle est née en juin !
Je suis devenu un gâche plaisir en une seconde lorsque j’ai fait remarquer, sinon l’injustice, du moins la maladresse. C’était lorsque tout le monde fut parti, après que la fête s’était avéré réussie. Alors que j’avais tout fait en bon homo domesticus pour qu’elle le fût.

Eh, bien ! Je reste marqué par cette insolence. Je dois garder, pesant sur mes épaules comme un péché originel, ce désordre que j’avais introduit dans le groupe de mes proches qui avaient organisé cette réunion. Tous leurs efforts étaient subitement anéantis. Et c’était moi le coupable ! Qu’à jamais je sois marqué par la honte et l’ignominie ! Que les dix ans de mon petit-fils demeurent comme un clou planté dans mon cœur !
Fuir ! Fuir après cet imbroglio ? Mais cela m’éloignerait de mes petits-enfants, qu’ils aient leur anniversaire en janvier ou en juin. Alors, comme un fou, je me suis mis à coller puis à peindre du polystyrène. Cette matière qui ne m’assure de rien et qui peut me claquer dans les doigts à tout moment !

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