La récente journée de la femme
m’a fait penser que le sort de certains hommes-toutous n’est peut-être pas
aussi désolant que celui de la femme punching-ball, mais qu’il mérite d’être
pris également en considération. Vous allez voir pourquoi.
Très tôt ce matin, comme à mon
habitude, je descends l’escalier qui, au sortir de ma chambre, me conduit au
niveau du rez-de-chaussée de la maison. Avec un ongle de ma main gauche qui
balançait je ne sais pourquoi, j’accroche la structure en polystyrène que j’ai
réalisée récemment. Celle dont j’ai posté deux photos dans mon blog il y a
quelques jours. L’objet est allongé, composé de trois longs morceaux de
polystyrène accolés. Au collage, et après qu’elle soit peinte, la structure
s’est arquée. Je l’ai regretté un temps. Mais, maintenant, cet objet me fait
penser à certains boucliers pas très larges que l’on trouve chez certaines
tribus africaines avec lesquels les guerriers détournent de leur corps les
lances ou les flèches qui tentent de les atteindre. C’était précisément ce que
j’ai cherché avec cette composition : éloigner de moi les attaques et les coups, ceux qu’en famille on
peut se décocher. Vous savez bien, par amour, dit-on. Jamais autant qu’à cet
instant matinal m’est apparue la réalité de ma condition. Je puis confirmer que
si ces temps-ci je tente de m’évader par la réalisation d’objets picturaux,
sculpturaux ou graphiques, c’est bien parce que j’affirme ainsi une autre
réalité de ma nature, à savoir mon existence créatrice. Car je revendique cette
existence en moi de pulsions fabricatrices, de réalisations inventives. Au plus
haut point chez moi, alors que pour d’autres cette tendance peut n’être que
passagère et néanmoins bienfaisante. Quant à ce qui me concerne, elle m’est
salutaire, indispensable.
Mais avec la réflexion, elle
se révèle, comment souvent, illusoire. Regardez : qu’ai-je choisi comme
matière ? Du polystyrène ! Mais c’est un objet si volatile qu’un coup
d’ongle l’écorne, l’altère, lui brise ses lignes ! Certes, je vais repasser
de la couleur sur ce tout petit espace de blanc originel qui est maintenant
apparu. Et le choix de ce matériau si fragile, s’évanouissant en cent millions
de bulles au moindre choc, à la moindre tentative de perçage, de sciage, ce
choix signe l’évanescence de ma tentative de survie, de ma révolte. C’est que
mon existence aujourd’hui n’est plus que celle d’un homo domesticus, cette espèce que l’on rencontre dans les cuisines,
les jardins, les boutiques, portant les sacs de madame, effectuant des tâches
ménagères subalternes, à qui il est interdit d’innover, d’avoir des idées
domestiques rompant avec les savoir-faire convenus.
C’était ça ma vie jusqu’à ce
que s’y ajoute un épisode remuant la famille tout comme un tsunami l’aurait
fait. J’avais réclamé le respect pour certains membres de la communauté dont je
suis le lointain responsable. Que fait là en effet l’enfant dont ce n’est pas
l’anniversaire lorsqu’on distribue des cadeaux à tous les autres ? N’est-il
que le faire-valoir de ceux qui sont fêtés, réunis dans le même délire de
cadeaux parce qu’ils sont tous nés en janvier ? J’ai ressenti l’injustice
de ces réunions de famille. D’autant qu’elles ne se produisent pas pour
l’autre, l’isolée, parce qu’elle est née
en juin !
Je suis devenu un gâche plaisir
en une seconde lorsque j’ai fait remarquer, sinon l’injustice, du moins la
maladresse. C’était lorsque tout le monde fut parti, après que la fête s’était
avéré réussie. Alors que j’avais tout fait en bon homo domesticus pour qu’elle le fût.
Eh, bien ! Je reste marqué
par cette insolence. Je dois garder, pesant sur mes épaules comme un péché
originel, ce désordre que j’avais introduit dans le groupe de mes proches qui
avaient organisé cette réunion. Tous leurs efforts étaient subitement anéantis.
Et c’était moi le coupable ! Qu’à jamais je sois marqué par la honte et
l’ignominie ! Que les dix ans de mon petit-fils demeurent comme un clou
planté dans mon cœur !
Fuir ! Fuir après cet
imbroglio ? Mais cela m’éloignerait de mes petits-enfants, qu’ils aient
leur anniversaire en janvier ou en juin. Alors, comme un fou, je me suis mis à
coller puis à peindre du polystyrène. Cette matière qui ne m’assure de rien et
qui peut me claquer dans les doigts à tout moment !
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