Pour la première fois de ma vie, un livre que je venais d'acheter s'est perdu lui-même. Il s'est perdu pour ne pas rester en ma possession.
J'avais voulu aller voir cette fête du livre corse, place Pascal Paoli à l'Île Rousse ce 28/07/1999. J'y ai vu le fameux chanteur corse Antoine Ciosi vendre son bouquin de souvenirs d'enfance, d'autres encore essayer de fourguer à l'honnête touriste un peu lettré leur prose ou leur vers.
"Fourguer" leurs vers , précisément, c'est ce que faisaient deux bonnes octogénaires placées en bout de la file des étals. J'ai ressenti un parfum connu, comme celui d'Andrée D. (autre octogénaire) pour laquelle je me suis commis à mettre en musique certains de ses textes pour lesquels je n'éprouve aucune attirance. Le même feu dévorant pour intéresser les autres à ce qu'elles produisent. Editées à compte d'auteur, leurs plaquettes doivent être vendues coûte que coûte. C'est la raison de ces foires aux livres, qu'elles soient corses ou autres, dans lesquelles ces auteurs de pacotille tentent de vendre leur produit.
La première de ces deux vieilles femmes se disant poétesses avait devant elle quelques petits livres qu'elle me montra en déclarant d'un air emphatique : "C'est de la poésie!". Le piège s'était refermé sur le pauvre idiot que je suis. Je lui pris pour 70 francs (10 euros) son dernier paru, moitié corse, moitié français. Qu'elle dédicaça avec frénésie d'une écriture tremblante et enfantine.
Sa voisine m'allécha ensuite avec un poème très artistiquement imprimé sur un grand format, presque enluminé et pour lequel elle venait d'avoir un prix, l'un de ces prix multiples que chassent les poètes du dimanche. J'achetai aussi cette page, me la fit envelopper et avisa un banc sur la place aux palmiers pour ranger mes achats dans mon sac à dos. C'est là que c'est produit mon acte manqué … ou réussi : je ne trouvai plus la plaquette ! Pour 70 francs, c'est payé cher la tentative d'évasion du piège que m'avaient tendu les deux vieilles dames qui écrivaient de la poésie. J'avais égaré la plaquette et gardé seulement le poème enluminé dont le titre était KALISTE, nom que les Grecs antiques avaient donné à la Corse tant ils l'avaient trouvée belle.
Comme un trophée de guerre, je ramenai ce poème à ma belle-mère corse lorsque nous rentrâmes au village après un séjour au bord de mer. Cette vieille dame qui n'écrivait pas de poésie fut pourtant enchantée de l'attention que j'avais eu pour elle et son pays. Elle fit un sous-verre de cette ôde gorifiant son île natale.
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